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pour propager ce qu’il regarde comme la vérité, mais pour enlever tout bonheur à ceux qu’il rencontre. C’est encore moins un athée qu’un méchant, et un incrédule qu’un scélérat, et un tel personnage ne prouve pas plus contre l’incrédulité qu’un hypocrite contre la foi. Néanmoins, comme il y a une corrélation évidente entre les actes de l’homme et ses doctrines, et que le simple changement de croyance entraîne après lui un affaiblissement de moralité, ainsi que nous l’avons déjà reconnu, la théorie de M. Conybeare contient quelque chose de vrai ; seulement c’est une goutte de vérité dans un océan d’erreurs.

Archer est un personnage à demi vrai, à demi faux. Tout le monde l’a plus ou moins connu. N’avez-vous jamais rencontré quelque intelligent gredin, solide, actif, ingénieux, rompu aux armes de la sophistique, doué du talent d’avoir toujours raison, d’une volonté opiniâtre, d’un tempérament énergique et puissant, capable de supporter également les fatigues de l’étude et les fatigues des plaisirs violens, dangereux ennemi, plus dangereux ami ? C’est Archer. Ce type existe de notre temps, on ne peut le nier. Sur ces natures robustes et grossières, rien effectivement n’a de prise. Il est inutile de songer à les dompter, et la seule manière de les rendre inoffensives est par trop énergique pour être nommée. Lorsqu’on les rencontre par hasard sur son chemin, il ne sert à rien de vouloir les éviter, et il est nécessaire de faire appel à d’autres moyens de résistance. Le principal but de la vie pour eux est de jouir et de parvenir ; leur principale occupation est par conséquent d’écraser et de nuire. À cette souveraine immoralité ils ajoutent d’habitude une ruse odieuse, celle de faire la philosophie de leurs vices et d’ériger en théorie leur immoralité. vous croyez peut-être, d’après ce portrait déplaisant, que de tels hommes sont des parias qu’on évite à tout prix, des araignées humaines, blotties dans leur toile, se repaissant de mouches innocentes et stupides ; non pas, ils sont estimés, sinon estimables, aimés, sinon aimables. L’activité de leur esprit leur ouvre toutes les portes, et la vigueur de leur caractère tient en respect tout adversaire qui essaierait de les leur fermer. Ils ne sont pas redoutables à la société en elle-même, mais toute personne qu’ils rencontrent est à peu près sûre d’être leur victime : ce sont les politiques et les philosophes de l’immoralité, dont les forçats et les voleurs de grands chemins ne sont que les héros romanesques, écervelés et malheureux.

Voilà le type vrai de l’Archer de M. Conybeare. Mais qu’a donc la religion à faire avec un pareil caractère ? quelles relations l’incrédulité elle-même peut-elle avoir de près ou de loin avec une telle âme ? L’incrédulité d’Archer ne consiste pas à croire à la morale humaine : elle consiste à ne croire en rien. M. Conybeare avait mis la main sur