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aussi absolu sur un peuple qui par instinct est obstiné et indépendant. Rien n’est remarquable comme la facilité avec laquelle ont été réprimées les révolutions de 1848, qui semblaient devoir être si redoutables. Dès leur premier élan, elles ont pour ainsi dire plié les épaules et reculé, comme honteuses d’elles-mêmes. Ce peuple présente le curieux phénomène d’une énergie violente que ce tout petit défaut, — le manque d’aisance, — réduit à néant. L’habitude de renifler trop fort en mangeant son potage ou de boire le café dans une soucoupe est donc, politiquement, une chose plus importante qu’on ne pourrait le supposer. Aux yeux des hôtes anglais du pauvre Herr Schrecklich, ces gaucheries lui enlevaient la moitié de son mérite et de sa valeur, et s’il est permis de comparer les grandes choses aux petites, c’est à la gaucherie qu’on peut aussi, sans exagération, attribuer le peu de succès qu’ont obtenu les révolutions allemandes. Qu’on ne s’étonne pas de cette assertion, le cœur humain se gouverne par des mouvemens insensibles qui échappent à l’observation, et les lois qui règlent les événemens politiques ne sont point toutes dans les philosophies de l’histoire.

La fable du roman de M. Conybeare ne sert qu’à lier et à réunir en faisceau tous ces incidens de la vie religieuse et de la vie philosophique anglaise ; elle est extrêmement simple, mais elle participe de l’esprit du livre ; elle est pleine de malignité, d’âcreté et de mauvaise humeur. M. Conybeare s’est plu à mettre ingénieusement en parallèle les dépravations les plus extrêmes du cœur et les négations et les doutes de l’incrédulité, ou, pour mieux dire, à les faire coïncider. Il semble penser que le vice et le crime marchent du même pas que l’incrédulité. Plus l’incrédulité est grande, plus la perversité est grande aussi. Si l’on doute, on n’est coupable que de légèreté ; mais si on sort de l’église, on tombe infailliblement dans le crime. L’âme est ainsi plus ou moins noire, selon que la doctrine que l’on a embrassée s’éloigne plus ou moins de la religion. Cette théorie singulière est mise en évidence et en relief par les deux personnages principaux, Charles Bampton et George Archer. Bampton n’est qu’un sceptique, et c’est pourquoi il a la ressource que n’a pas l’incrédule ; les argumens des infidèles ne lui paraissent pas plus concluans que ceux de l’église ; aussi la balance finit-elle par pencher en faveur de cette dernière. Grâce à cette situation d’esprit, Bampton échappe aux conséquences extrêmes de l’immoralité et s’arrête toujours à moitié chemin ; ses péchés ne sont jamais mortels, comme ceux d’Archer, le mauvais génie du roman. Celui-ci, qui est un incrédule et un athée de la plus opiniâtre espèce, n’a aucune ressource pour échapper à sa mauvaise nature et aux crimes auxquels elle l’entraîne. Bigame, parjure, presque homicide, il fait le mal pour le mal, et s’amuse à répandre les doctrines athées, non