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propre réel sous plus d’un nom supposé. Si le docteur Grubman nous est inconnu, il n’en est pas tout à fait de même du journaliste Buzzard, éditeur du journal hebdomadaire la Torche. M. Conybeare a pris soin de donner tous les renseignemens suffisans pour que son lecteur ne puisse s’y tromper. Nous savons quel est ce journal radical et infidèle, qui trouve des lecteurs et des abonnes parmi les membres de l’église, grâce à son antipathie pour les whigs, et dont le credo religieux oscille entre les doctrines des unitaires et les doctrines allemandes. L’attaque est directe et violente. En général, le tableau que trace l’auteur de cette société est plein de fausses couleurs habilement assorties. Il prend un ou deux hommes intelligens, et les jette au milieu d’une société bigarrée et grotesque, si bien que le ridicule de cette société rejaillit sur eux. Il semblerait que le monde des incrédules anglais se compose exclusivement de vieux médecins grossiers et bourrus qui vous prennent à la gorge en vous demandant si vous avez lu leurs livres sur les tissus nerveux, de vieilles dévotes restées fidèles au culte de Bentham, de vieilles filles admiratrices de fétiches littéraires. Eh ! sans doute ces caricatures existent ; mais si le parti des incrédules ne se composait que de tels infirmes, M. Conybeare n’aurait pas pris la peine d’écrire son livre.

Le portrait le plus vrai, parce qu’il est le plus impartial, est celui du précepteur allemand. Il est bien mis en scène et très reconnaissable avec ses habitudes de taverne et son inoffensive nature, sa grande instruction et son défaut d’éducation, sa timidité de manières et son entêtement d’esprit. Dans la vie spéculative, ses prétentions sont orgueilleuses et fantastiques, mais dans la vie pratique ses prétentions sont modestes à l’excès, et cet homme qui s’est fait congédier de son pays pour avoir voulu introniser le paradis sur terre trouverait facilement le sien dans un salaire de quinze cents francs. Il est excellent philologue, mais il avale son potage avec un reniflement monstrueux qui agace les nerfs de tous les convives ; il est excellent hébraïsant, mais il a le mauvais goût de boire le café ou le thé qui est tombé dans sa soucoupe. On ne saurait trouver d’être plus inoffensif, plus instruit et plus maussade. L’auteur a très bien saisi ce vice particulier des Allemands, la gaucherie, vice qui donne une prise facile à des adversaires qui souvent ne les valent pas. La gaucherie de l’Allemand n’est pas un défaut d’éducation, c’est un défaut de nature et de caractère qui a produit des conséquences historiques très considérables. C’est ce défaut qui fait contre-poids à l’obstination très redoutable de ce peuple, et qui amortit cet entêtement logique qui l’a toujours caractérisé. L’Allemand pauvre et plébéien ne sait pas se mouvoir, et cette absence d’aisance le met à la merci du premier hobereau qui passe. C’est là ce qui explique la longanimité allemande, et comment l’aristocratie a pu conserver jusqu’à nos jours un empire