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« — Votre questionneur, en tout cas, dit le docteur, n’aurait pu désavouer sa qualité de membre de la société de l’écrou ; il ne l’aurait pu ni littéralement, ni métaphoriquement, car il est par lui-même un solide écrou, et il est connu sous le nom d’Écrou Scawby, sobriquet qu’il mérite également par son caractère et la nature de son commerce. Avez-vous remarqué dans le grand atelier cette machine qu’on n’a pas clôturée, et dont le contre-maître vous a averti de ne pas trop approcher ? Eh bien ! il n’y a pas un an, la roue de cette machine saisit un malheureux ouvrier qui s’approcha imprudemment et fut broyé littéralement en morceaux. On recueillit un plein panier de ses débris, et on les enterra.

« — Comme cela est dégoûtant et choquant ! s’écria Charles ; mais est-ce qu’on ne pourrait pas prévenir de tels accidens en posant des barrières autour des machines ?

« — À coup sûr, les manufacturiers le pourraient, répondit le docteur Williams, ils sont obligés de par un acte du parlement à enclore leurs machines ; mais cela coûterait de l’argent et tiendrait de la place, par conséquent pas de barrière.

« — Mais n’y a-t-il aucune pénalité ? demanda Charles.

« — Oui, il y a une pénalité, mais elle est rarement appliquée, personne n’aime à se faire dénonciateur ; d’ailleurs cette pénalité est si peu de chose, que les capitalistes préfèrent en courir le risque plutôt que de faire un sacrifice pour l’éviter.

« — Et ainsi la vie humaine est sacrifiée pour l’amour d’un gain un peu plus élevé ? dit Charles.

« — Justement, et ce fait que je signale vient encore en aide à ce que je disais. L’absence de foi chrétienne est la source de toutes nos misères, excepté de celles qui, par la nature même des choses, sont inévitables. Si Scawby croyait au Nouveau-Testament, il mettrait des barrières à ses machines.

« — Mais assurément, dit Charles, il n’est pas besoin de croire au christianisme pour s’acquitter d’un tel devoir. Les impulsions naturelles de la bienveillance devraient suffire, à mon avis.

« — Mais vous oubliez, mon cher monsieur, que chez la plupart des marchands les impulsions naturelles de la convoitise sont plus fortes que les impulsions naturelles de la bienveillance. Un principe surnaturel d’action est nécessaire pour obliger les hommes à être bienveillans et honnêtes bon gré mal gré, lorsqu’il existe des tentations suffisamment fortes qui nous poussent à être tout autre chose que bienveillans ou honnêtes. »


Et le docteur Williams continue d’énumérer les vices que cette absence de foi chrétienne enfante : les banqueroutes scandaleuses et répétées, l’effronterie commerciale, les rapports hostiles du maître et de l’ouvrier. Hélas ! tout cela est vrai ; il est trop certain que l’idéal religieux manque à cette société, et qu’une société sans idéal ne peut présenter d’autre spectacle que celui de l’anarchie contenue par la force et la nécessité ; mais comment remédier au mal ? Le doc. leur Williams et M. Conybeare montrent le remède, la foi chrétienne… —