Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/733

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous nous trouvons d’accord avec M. Conybeare ; nous en dirons autant de la question des effets de l’incrédulité sur les relations des hommes entre eux. Notre plaidoyer en faveur de l’incrédulité n’a pas d’autre but que de revendiquer les droits de la conscience individuelle et d’expliquer comment, de notre temps, la foi ne se commande point. L’incrédule a droit à sa part d’indulgence, et même de respect. Ce sont donc les droits métaphysiques de la raison individuelle isolée que nous avons entendu plaider ; mais en même temps nous avons nous-mêmes plus d’une fois reconnu que si ce phénomène de l’incrédulité s’étend de l’individu isolé à des classes entières, tout lien moral cesse de rattacher les hommes les uns aux autres. La nécessité seule, de sa chaîne d’airain, les rive comme des forçats à leur tâche, et les oblige à se supporter les uns les autres. En l’absence de toute foi commune, un effrayant credo d’athéisme se dégage de toutes les incrédulités réunies : qu’est-ce que je te dois, qu’est-ce que tu me dois ? Les sociétés ne sont pas un assemblage d’individus isolés réunis en troupeau, elles ne sont pas un mécanisme constitutionnel jouant au moyen de ressorts et de poulies ingénieuses où la main de l’ouvrier est reconnaissable ; non, elles sont un organisme vivant, animé par une étincelle morale, soumis comme le corps humain à des maladies sur lesquelles l’art des médecins politiques est vain. Une des conditions de cet organisme, c’est qu’il doit avoir plusieurs centres de vie où ses différentes fonctions viennent chercher des ordres, recevoir des règles, et lorsqu’un de ces centres de vie est détruit, les phénomènes de maladie les plus bizarres se déclarent immédiatement. Toutes les nations modernes en sont là aujourd’hui, il leur manque à toutes quelque organe régulateur de la vie : les unes ne respirent plus, les autres ne pensent plus, chez d’autres enfin la circulation s’accomplit de la manière la plus anormale. Mais de tous ces principes d’existence, le plus important et le plus spirituel, celui qui est comme l’âme de cet organisme, c’est l’idéal qui met en mouvement tous ces rouages. Tant que cet idéal, qui est religieux de sa nature, existe, la vie sociale a toujours un but et un centre auxquels se rapportent toutes ses fonctions. Lorsqu’une fois ce centre disparaît, alors tous les organes laissés sans régulateur suivent follement leurs penchans, accomplissent irrégulièrement et isolément leur loi et se dépravent en s’isolant. Le cerveau continue à penser pour penser et arrive à des inspirations de somnambule et de femme hystérique ; la main travaille pour travailler, mécaniquement, comme l’horloge bat les heures ; les instincts sensuels, désormais sans guide, cherchent leur satisfaction avec la plus brutale candeur, car le principe moral n’existant plus d’une manière incontestable, la plus grande obscurité règne sur ce qui est permis