Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/729

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est donc une tactique aussi injuste que peu légitime. Une autre tactique de tous les polémistes religieux consiste à généraliser outre mesure certains détails et certains phénomènes moraux qui accompagnent telle ou telle phase d’incrédulité. L’expérience de l’histoire et de la vie nous apprend, par exemple, que lorsqu’un homme passe de la foi à l’incrédulité, ou que tout simplement il passe d’un milieu religieux à un autre, sa moralité court un instant de très grands périls. Rien n’est plus facile à expliquer que ce fait, qui est pour ainsi dire un phénomène de physiologie morale. Lorsque l’homme passe d’une conviction à une autre, il y a un moment où la santé morale est altérée ; l’âme perd son équilibre, les principes se relâchent, l’œil de l’esprit s’obscurcit. C’est comme un système nerveux que le sang ne règle plus, et qui s’abandonne à tous ses frémissemens et mouvemens involontaires. Un certain temps doit s’écouler avant que l’équilibre se soit rétabli, et que les ressources de la nature aient opéré la guérison. Cette maladie passagère, que bien des hommes ont connue par expérience, se présente souvent dans l’histoire à la suite des grandes révolutions. La réforme la plus austère est toujours accompagnée des débordemens les plus honteux. Ainsi des compagnies de flagellans et de convulsionnaires peuvent former l’arrière-garde des réformés vaudois, une secte des adamites accompagner la réforme de Jean Huss, et les excès anabaptistes suivre de près la réforme de Luther. L’abandon de l’orthodoxie, quelle qu’elle soit, entraîne donc une maladie dangereuse, rien n’est plus vrai, ni mieux prouvé ; ce qui est faux, c’est de présenter cette maladie comme mortelle et irrémédiable, ou même comme constante, et surtout d’assimiler ce phénomène, qui est tout passager, à l’incrédulité elle-même.

Un incrédule parfaitement moral, strictement soumis à des doctrines purement humaines, vaut-il un chrétien ? Les impulsions de la nature humaine vers le bien participent-elles de la perversité de la chair, et les instincts spontanés de l’âme ont-ils même, dans leur plus grand désintéressement, quelque chose d’égoïste et de sensuel ? Ici se présente le grand débat théologique entre la nature et l’esprit régénéré par la grâce, dans lequel nous nous garderons d’entrer. Cependant, dans cette question, nous nous rapprochons du sentiment de l’auteur. Les mouvemens désintéressés de la nature sont toujours extrêmement rares, et certaines âmes d’élite seules sont susceptibles de régler leur conduite sur les principes du bien qu’elles trouvent en elles, et encore elles n’y parviennent qu’en raffinant sur la nature et en donnant aux instincts une direction artificielle. Entre les instincts naturels et le code moral de l’honnête homme, il y a la même différence qu’entre une chute d’eau impétueuse et