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et de doutes, et qu’elle doit en conséquence se montrer tolérante pour ceux qui ne peuvent s’accorder avec elle, puisqu’elle-même est en proie aux dissensions et aux querelles ?

L’auteur de Perversion manque peut-être de charité envers ses propres coreligionnaires, mais enfin il ne manque pas de réserve. Nulle part dans son livre nous ne trouvons de noms propres anglicans : il se gêne moins avec les incrédules. Deux personnages célèbres notamment sont pris à partie à diverses reprises et assez rudement, Thomas Carlyle et Henriette Martineau. Relativement au premier, nous pouvons répondre que l’église anglicane verrait beaucoup moins diminuer les rangs de ses fidèles, si elle possédait les dons avec lesquels Carlyle a remué tant d’esprits, c’est-à-dire la chaleur et la sympathie, et surtout cette merveilleuse faculté d’exprimer la pensée secrète et le tourment caché des générations auxquelles il s’adresse. Si les jeunes gens, si les femmes elles-mêmes ont lu avec tant d’enthousiasme les écrits de Carlyle, c’est qu’il a prononcé le plus éclatant sursum corda que l’Angleterre ait entendu dans ce siècle. Ces dithyrambes d’un cœur passionné et vivant ont agi sur les générations nouvelles comme un accent religieux. Et quelles sont en effet les forces actives de la religion, sinon la passion et la vie ? Carlyle se trouvait posséder précisément les dons du prosélytisme qui sont nécessaires aux chefs des églises, et c’est là la cause principale de son succès. Les conséquences morales que peuvent produire les écrits de cet homme, qu’il est impossible de lire sans l’estimer et de connaître sans le respecter, ne sont point telles que M. Conybeare essaie de l’insinuer. Jamais M. Charles Bampton n’a pu y trouver des théories d’indulgence passionnelle, et jamais l’affreux M. Archer n’y a trouvé de raisonnement qui pût justifier ses crimes. Si, sous le rapport des doctrines, Carlyle peut être regardé comme un panthéiste (ce qui est controversé, car le panthéisme n’a jamais été chez lui une profession de foi, mais seulement un point d’interrogation, si nous pouvons nous exprimer ainsi), en revanche, sous le rapport de la morale, il est resté un intraitable dualiste. Au lieu d’identifier en une seule et suspecte unité les deux principes du bien et du mal, il n’a jamais manqué de tracer le fossé infranchissable qui les sépare. Sous le rapport de la morale, il est resté très puritain, et il damne aussi irrémissiblement les vicieux et les coupables que Calvin et John Knox. Il n’a pas non plus l’habitude de badiner avec les influences délétères qui amollissent l’âme lentement ; personne n’a plus énergiquement dénoncé que lui la sentimentalité du XVIIIe siècle, le moderne indulge genio, et les religions de la sensualité, qu’il a eu l’honnête cynisme d’appeler de leur vrai nom : phallus worship. C’est surtout dans les sujets de morale pratique qu’éclate