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croit vrai et d’adorer Dieu selon son culte. On oublie de chercher quelle définition nouvelle le XIXe siècle pourrait donner de la tolérance. Il en est une cependant qui ressort de l’inextricable confusion morale dans laquelle nous sommes engagés : c’est que nous ne sommes plus responsables de nos opinions, et que si nous errons, la faute en est au siècle plutôt qu’à nous ; que nous n’avons d’autres croyances que celles que le temps destructeur a bien voulu nous laisser par pitié ou par oubli, et que dans cette disette de croyances l’erreur est presque une ressource, que nous sommes les jouets des circonstances et les victimes de la fatalité qui a voulu placer notre existence en l’année 1856, au lieu de la placer à une période de foi solide et fixe. Par conséquent celui qui nous condamne et nous poursuit en raison de nos doctrines ne peut guère être autre chose qu’un méchant ou un hypocrite.

La situation de notre siècle nous oblige donc à la plus grande réserve lorsque nous voulons juger les croyances de nos semblables ; l’incrédule et le sceptique méritent tout notre intérêt et toute notre charité. Nous devons penser que si leurs croyances sont flottantes, c’est moins leur faute que celle de leur temps ; nous devons penser que, s’ils ne croient pas, ils ont fait tous leurs efforts pour croire. La foi est laborieuse et pénible aujourd’hui, et à l’antique anathème qui déclara que l’homme devrait gagner son pain à la sueur de son front, il semble qu’il s’en soit joint un nouveau qui condamne l’homme à gagner ses croyances à la sueur de sa pensée. L’intolérance à notre époque n’est pas seulement un crime contre la charité, c’est encore une marque d’incurable aveuglement et d’incurable sottise, car rien n’est remarquable comme la bonne volonté que de toutes parts manifeste l’esprit humain et les tentatives religieuses en sens divers qui se produisent chaque jour. Ce n’est certainement pas l’obstination que l’on peut reprocher aux hérétiques, ce n’est pas l’endurcissement que l’on peut reprocher aux incrédules : ce serait bien plutôt une certaine mollesse. On ne voit que gens préoccupés de trouver une raison de croire, et la plupart du temps la plus petite leur suffirait. Les différentes églises qui divisent la chrétienté pourraient tirer cette leçon de tolérance du spectacle des luttes qui se produisent dans leur propre sein. Pas plus que le monde des laïques, elles ne sont à l’abri du doute et de l’inquiétude ; elles aussi ont été atteintes du scepticisme : plus d’un de leurs membres travaille de son mieux à réconcilier son expérience avec sa croyance, plus d’un a pu s’apercevoir aux sacrifices que lui imposait cette tâche combien elle est difficile et douloureuse. Quel est celui qui oserait dire qu’au sortir de cette lutte il est parvenu à trouver l’équilibre exact entre son expérience et sa croyance, et qu’il n’a pas eu à sacrifier quelque chose de l’une