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soit heureux, et qu’il se plaise en dilettante dans ses tourmens d’esprit ? Le sceptique que ses anxiétés et ses vicissitudes morales n’ont pas rempli de tristesse, qui s’autorise de ses désillusions et de ses doutes pour renoncer à la vérité, celui-là mérite tout au plus d’être rangé dans la catégorie des épicuriens de la pire espèce, et n’a jamais, en réalité, ressenti aucun de ces troubles de conscience et de cette hésitation prudente de jugement qui sont les attributs moraux du scepticisme. Bien loin d’être un blasphémateur et un épicurien, le vrai sceptique est au contraire d’une délicatesse et d’une susceptibilité extrêmement rares. Je sais bien que par malheur, dans notre siècle, il se mêle souvent en lui un certain élément épicurien que j’appellerai le dilettantisme transcendental, c’est-à-dire cette faculté de jouir des opinions et des théories, et d’aimer à cueillir la beauté même des doctrines qu’on n’accepte pas ; mais qui oserait dire que ce défaut ne soit pas commun au sceptique avec bien des croyans sincères et fervens d’aujourd’hui ? Quel est le fidèle qui n’ait pas connu cet épicuréisme transcendental, qui n’ait jamais aimé à respirer la poésie de sa croyance, et qui n’ait pas été touché plus souvent par les rêveries qu’engendrent les cérémonies de son culte que par les vérités que révèlent ses dogmes ?

Tout ce que nous disons du sceptique peut se dire également de l’incrédule. Dans un siècle où tout change sans cesse, et qui semble pris de vertige, il n’est pas extraordinaire qu’on n’aperçoive pas de point fixe et stable auquel on puisse s’attacher avec passion, et qu’on ne puisse rapporter à un même centre immuable les expériences si diverses, si contraires, que la vie engendre chaque jour. L’incrédule de parti pris n’existe pas, et jamais personne n’a fait profession de ne croire à rien pour son plaisir, à moins d’être un scélérat achevé et d’avoir trouvé dans la négation de toute vérité un moyen de s’affranchir de toute contrainte morale. Plus heureux que le sceptique, l’incrédule n’est tel que relativement à une certaine doctrine déterminée qu’il repousse, et qu’au contraire vous adoptez. Vous vous vantez d’avoir un centre auquel vous rattachez toutes vos expériences et toutes vos pensées ! Lui aussi, il a le bonheur de posséder un point inébranlable qui lui offre un abri contre les caprices du hasard et les vicissitudes de l’opinion. Il serait désirable peut-être qu’il n’y eût qu’un seul credo pour tous les hommes et un centre commun pour toutes les âmes ; mais un tel bonheur n’est pas donné à notre siècle. Force nous est donc d’être tolérans, puisque notre époque est anarchique. On parle beaucoup, par le temps qui court, de la liberté de pensée et de la liberté de conscience, et dans toutes les polémiques qui se sont élevées à ce sujet, on répète à satiété les définitions du XVIIIe siècle, par exemple que l’homme a le droit de penser ce qu’il