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chrysalide, qui, dans une mort temporaire, étouffe le ver sans laisser pressentir le papillon ; c’est tantôt enfin la hideuse putréfaction du cadavre exposé au grand air, repris par le néant membre à membre, et dont tous les yeux peuvent suivre la graduelle disparition. C’est encore, si vous voulez, un édifice dont une moitié tombe en ruines et dont l’autre moitié est en voie de construction : d’un côté les échafaudages masquent les proportions de l’édifice, de l’autre les pierres se détachent une à une, et au milieu des crevasses envahies par les herbes parasites grelottent et tremblent, belles et charmantes encore, mais atteintes par un souffle glacial, bien des fleurs du passé. Somme toute, notre siècle est un siècle laid, dans lequel il est difficile de vivre, mais intéressant à observer ; l’âme n’y trouve point son aliment nécessaire, mais en revanche l’esprit y trouve en abondance des élémens d’étude pour sa curiosité infinie et ses appétits d’analyse et d’anatomie.

Rien pour l’âme, tout pour l’esprit, tout pour la curiosité et l’analyse, voilà peut-être la définition la plus concise et la plus vraie que l’on pourrait donner de notre époque. De cette définition on peut tirer la méthode par laquelle les actions et les hommes de ce siècle doivent être jugés, méthode à la fois indulgente et sévère, et que nous croyons la seule raisonnable et la seule équitable. Si les caractères de notre siècle sont tels que nous venons de les décrire, on ne saurait juger l’époque avec assez de sévérité, les individus avec assez d’indulgence, car la vie individuelle doit nécessairement être semée de pièges et environnée de périls. Si cette époque ne s’adresse qu’à la faculté de l’observation et à la passion de la curiosité, faudra-t-il s’étonner que les erreurs abondent, que les catastrophes morales soient nombreuses, et que l’âme se perde à la poursuite de vaines illusions ? Le monde dans lequel nous vivons ne réveille en nous que certaines facultés de l’esprit : s’étonnera-t-on que les autres restent endormies ? S’il n’y a rien auprès de nous qui vaille la peine d’être aimé, faudra-t-il accuser durement ceux chez qui la faculté d’aimer diminue de jour en jour ? Et parce qu’il n’y a aucun parti qui vaille la peine d’être servi avec dévouement, ceux qui se tiendront prudemment à l’écart devront-ils être accusés d’égoïsme et de sécheresse ? Si le spectacle des choses contemporaines n’éveille en moi d’autres instincts que des instincts de curiosité, mes ennemis seront-ils bien venus à m’accuser de scepticisme ? La curiosité peut-elle engendrer d’autres sentimens qu’un attachement passager, suivi de déception, qu’une passion de tête ? L’attrait de la nouveauté, auquel j’obéis par la fatalité de circonstances qui ne dépendent pas de ma volonté, en multipliant mes expériences, multiplie mes incertitudes et mes déceptions. Croit-on d’ailleurs que le sort du sceptique