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souhaités, dont j’avais la certitude maintenant par d’irrécusables témoignages, j’éprouvai une joie immense. J’en avais fini avec toute une partie de la tristesse humaine, puisque le doute m’était enlevé. — Mais je suis sûr à présent qu’il mourra, et aucune parole, aucune pensée, rien de ce que nous crie notre cœur, de ce que notre raison nous suggère, rien même de ce qui peut nous être révélé par des voies surnaturelles n’adoucira jamais pour nous cette grande, cette invincible douleur de la mort d’un être aimé…..


II.

Dieu me préserve de donner des formes apprêtées à des émotions que j’ai senties et que je voudrais faire partager. Il faut que j’aie recours cependant, pour rendre compte de ce que j’ai entrepris de raconter, à une sorte d’épilogue. Un officier, dont le nom n’importe guère, proposa tout récemment à un jeune prêtre d’aller visiter avec lui les ruines de Sébastopol.

L’abbé de Gastier, ainsi s’appelle ce prêtre, est un de ces hommes qui en chaire, avant d’avoir prononcé une seule parole, ont déjà fait courir un long frisson dans leur auditoire, par tout ce qu’il y a dans leurs traits pâlis d’initiation aux douleurs de ce monde, dans leurs regards enflammés de révélation sur les joies d’une autre vie. Eh bien ! cet humble serviteur de Dieu n’a jamais fait qu’un obscur emploi de sa puissance sur ses semblables. Depuis deux ans, il vit au poste qui lui a été assigné, « rôdant comme un voleur, » pour me servir de l’expression mystique, autour de ceux qu’il essaie de sauver, accourant au moindre signe de qui le réclame, remplissant enfin son ministère avec une infatigable patience et une foi embrasée. L’officier qui voulait l’entraîner à Sébastopol n’était pas, à coup sûr, le modèle des chrétiens. Il avait une religion qu’il accommodait, sans trop savoir lui-même par quels procédés, avec une singulière complaisance pour les coups de sabre et une profonde tendresse pour la faute que, depuis les paroles de Jésus-Christ, on ne punit plus avec des pierres ; mais, poussé vers l’idéal par un invincible penchant, il aimait les prêtres, parce qu’ils sont, disait-il, des êtres forcés de s’inquiéter incessamment des choses surhumaines. Puis l’abbé de Gastier devait particulièrement lui plaire. Ce jeune ecclésiastique avait un tour d’esprit qui le portait à ne repousser aucun mystère parmi ceux mêmes que ne garantit aucune autorité sacrée. Épris du monde invisible, il accueillait avec une joie profonde tous les faits qui lui semblaient appartenir à ces régions désirées. Or l’officier que nous ne nommons pas a pour le merveilleux une passion qui