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nantes de lumière et de soleil : Fac ut animæ donetur paradisi gloria ! — l’idée d’une âme initiée par la douleur aux mystères sacres de l’art, et qui chante en soupirant encore les félicités éternelles ? Et dans ce passage où il est écrit qu’un glaive a transpercé le cœur de la mère de Dieu : Pertransivit gladius, quel effet singulier dans ces basses s’élevant en gammes chromatiques jusqu’au sommet où planent les voix, et déchirant comme au fil de l’épée le tissu de l’harmonie ! Je ne sache pas qu’aucun maître ait jamais rendu cette strophe, tant de fois reproduite en musique, avec plus de puissance et de vraie terreur que le doux Astorga. Vous êtes ému jusque dans les profondeurs de votre être ; vous frissonnez soudain au contact du glaive qui, sur cette place des exécutions capitales, en immolant le père fit saigner le cœur du fils, et vous vous demandez si ce n’est pas en son propre martyrologe qu’à son insu peut-être le grand artiste a puisé les sublimes accens de cette élégie.

Dans le style sacré, une autre grande composition de ce maître, c’est son Requiem, dont nous ne possédons, hélas ! que des fragmens, car tout est obscurité chez cet homme, et le peu qu’on en a et qu’on en sait offre tant de curiosité et d’intérêt, qu’on disputerait volontiers aux ténèbres ce qu’elles ont enseveli.

J’ai parlé plus haut de la musique de chambre d’Astorga. Personne n’ignore quelle chose ridicule était, au XVIIIe siècle, sous le bienheureux règne du rococo, une cantate italienne a voce sola, sorte de pastorale à la Deshoulières, long soupir amoureux autour duquel s’enroulaient coquettement des trilles et des fioritures, comme des devises autour d’un mirliton ; interminable litanie où le berger chantait en mineur les cruautés de sa bergère, et tenait invariablement le majeur en réserve pour célébrer, dans les grandes occasions, l’inexplicable ivresse du triomphe. Qu’on imagine l’ennui mis en musique. Aujourd’hui tout cela ne nous paraît point seulement passé de mode, mais décrépit, caduc et momifié ; vous diriez un octogénaire chantant fleurettes. Pour les vers et pour la forme, les cantates d’Astorga ne valent certes ni plus ni moins ; mais ici l’inspiration est si profonde, le sentiment si chaleureux, qu’on oublie les pauvretés du texte en faveur du sonore tissu qui les recouvre. Cette musique intime d’Astorga, quand on la compare à ce que produisaient vers cette époque les maîtres de l’école napolitaine, nous fait l’effet d’un Murillo qu’on placerait au milieu des chefs-d’œuvre de la peinture italienne dégénérée. Ce que vous voyez à travers ses hymnes passionnés, à travers ses brûlantes élégies, c’est une sorte de Tasse musical de la cour de Parme exhalant ses galantes langueurs aux pieds de son Éléonore, et non point le pédantesque émule de quelque Nicolo Porpora écrivant gravement des solfèges sur d’amoureux propos. La rêverie, la couleur, un certain romantisme dans l’ensemble de sa physionomie, voilà les qualités principales qui distinguent Astorga de la plupart de ses contemporains, et le rapprochent si curieusement des grands artistes de notre temps. Ajoutons une élégance aimable, beaucoup de grâce à la fois et de dignité, quelque chose en un mot d’élevé, de calme, de discret et de fin, qui dans le musicien dénonce l’aristocrate.

On a maintes fois essayé de peindre l’émotion profonde du bibliophile dé-