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tant prodigué les couleurs factices, les passions folles, les inventions bizarres, que l’art, n’ayant plus le fil conducteur de la vérité, a fini par s’égarer dans cette région obscure des invraisemblances et des impossibilités. Après avoir pris toutes les formes, après s’être fait tour à tour humanitaire ou frivole, déclamateur ou réaliste, et avoir régné en souverain, le roman est réduit à la condition la plus critique ; on pourrait presque écrire l’histoire de sa grandeur et de sa décadence. Le genre garde son attrait, les œuvres ne répondent plus à l’idéal des esprits et des âmes. Le roman renaîtra sans doute, car c’est une des formes naturelles de l’imagination ; mais il ne renaitra que par l’observation saine, par une étude attentive du cœur, par un retour vers tous les sentimens vrais. Le grand roman existe à peine aujourd’hui ; on ne le connaît plus. La nouvelle fleurit de toutes parts : c’est une moisson incessante, qui croît d’elle-même, sans culture ; mais parmi ces nouvelles de tous les jours, combien en est-il qui aient véritablement une valeur littéraire ? Les plus agréables de ces contes sont souvent ceux où il y a le moins de prétention, où on sent le moins l’industrie et le métier. Ce n’est point un écrivain attitré, ce n’est point même, à ce qu’il semble, une plume française, qui a écrit un petit livre publié il y a quelque temps et intitulé la Villa Galietta. L’auteur, qui est d’origine étrangère et qui de plus est une femme, se cache sous le nom de la comtesse Nathalie. La Villa Galietia est une histoire mondaine, l’histoire d’un de ces amours qui se nouent en courant, aux bords du lac de Côme, entre un jeune officier autrichien et une belle étrangère, — amours facilement noués, et qui se dénouent sans trop de coups de foudre. Cette vie italienne du lac de Côme, sous un ciel qui trouble le cœur ou les sens, toute cette existence à la fois provoquante et molle, mêlée d’oublis et d’élégances, la Villa Galietta la reproduit avec distinction. La comtesse Nathalie raconte évidemment avec esprit ; elle a le mot piquant et l’observation hardie. La Villa Galietta est une bluette échappée à une imagmation ingénieuse et vive, qui se risque un peu pour mieux se distraire de l’ennui sans doute. C’est aussi dans une région sociale élevée que se passent les Épisodes de la Vie intérieure, racontés par M. Charles de Nogeret ; mais ici le ciel n’a plus les mêmes feux. L’auteur ne sort point de la France ; il prend ses héros dans ce monde qui passe l’hiver à Paris, qui va à la campagne ou aux Pyrénées pendant l’été, et dans ce monde M. de Nogeret a trouvé les élémens de deux ou trois histoires qui montrent quelques-uns des aspects de la vie. Ces récits, tels que Vapré et la Fiancée de Royan, sont écrits avec facilité et sans prétention, comme on écrit avec un esprit qui ne recherche pas le bruit littéraire. Un autre écrivain, M. J.-T. de Saint-Germain, raconte une bien autre histoire ; c’est une légende qui est intitulée Pour une Épingle. Ce petit récit est de cette famille de livres dont le Voyage autour de ma Chambre est le modèle, où le sujet n’est rien, et où les développemens sont tout. On a raconté qu’un banquier fameux, mort il y a dix ans, avait dû à une épingle la fortune qu’il avait faite dans notre époque, c’est-à-dire qu’il avait attiré l’attention sur lui par le soin qu’il avait mis à ramasser une épingle perdue. Le sujet est le même dans la légende de M. J.-T. de Saint-Germain, et c’est cette petite, cette précieuse épingle trouvée un jour par hasard, qui raconte la vie de celui dont elle a