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que lui la mission de composer un nouveau conseil ? C’est ce qu’il est difficile de dire. Toujours est-il que la reine, après avoir bien constaté les refus réitérés du duc de la Victoire, prenait une résolution hardie, et chargeait immédiatement le général O’Donnell de former un ministère. Quelques heures après, ce ministère était composé et entrait en fonctions. Il comptait dans son sein des hommes de toutes les opinions sensées, des conservateurs comme MM. Rios-Rosas et Pastor Diaz, des progressistes comme MM. Cantero et Luzurriaga, un secrétaire des cortès, M. Pedro Bayarri, un ancien membre du premier cabinet formé après la révolution de 1854, M. Collado. Ce ministère formé, le général O’Donnell, avec autant de promptitude que d’énergie, préparait ses moyens de défense au cas d’une tentative désespérée ou d’une résistance des partis qu’il était facile de prévoir. Il faut le remarquer, jusqu’ici, dans cette crise, tout est simple et régulier, rien ne porte la marque de la violence. Sans doute le général O’Donnell pouvait se tenir prêt à tout événement. Cette lutte prolongée de deux années au sein du ministère, il prétendait bien la dénouer au profit de sa politique : la reine elle-même a pu désirer ce résultat ; mais ni la souveraine de l’Espagne, ni le ministre de la guerre, ne paraissent avoir eu le dessein de précipiter un dénoûment, amené par la force des choses au moins autant que par la volonté des hommes.

Quelle était dans ces difficiles conjonctures l’attitude des partis extrêmes dès le premier instant ? À peine le nouveau ministère était-il formé, l’agitation commençait de se répandre dans Madrid, et peut-être quelques-uns des ministres démissionnaires n’y étaient-ils point étrangers. Les progressistes avancés se voyaient plus que jamais rejetés loin du pouvoir, s’ils ne résistaient pas et s’ils ne faisaient pas une tentative suprême. Aussitôt le chef de la municipalité de Madrid appelait sous les armes la milice nationale, qui allait prendre position dans les principaux quartiers de la ville. La milice nationale, c’était là l’armée de l’insurrection qui se préparait, et qui n’attendait qu’un signal. En même temps l’assemblée constituante se trouvant prorogée, les députés présens à Madrid se hâtaient de se réunir et de délibérer. M. Madoz, qu’on est toujours sûr de voir au premier rang dans ce ? rencontres, M. Madoz, sous prétexte de calmer l’opinion, prononçait un de ces discours qui ne font qu’ajouter au trouble des esprits. Il faisait une proposition dans laquelle on déclarait que le nouveau ministère n’avait point la confiance des cortès. La motion était en effet adoptée, et une commission était nommée pour aller la porter à la reine. Or il se présente ici plusieurs questions essentielles : sur quoi se fondait cette fraction de l’assemblée pour voter une motion de censure ? Le ministère entrait à peine au pouvoir et n’avait pu rien faire encore. Le général O’Donnell, à qui une minorité remuante envoyait cette déclaration de guerre, avait depuis plusieurs mois obtenu des votes réitérés de confiance de la majorité des cortès. En outre les députés réunis dans la salle du congrès avaient-ils réellement le droit de prendre la délibération qu’ils signifiaient à la reine, sans avoir même entendu les nouveaux ministres ? C’est là ce qui est douteux. Il y a dans le règlement de l’assemblée, il est vrai, un article qui autorise cinquante députés, pendant les prorogations des cortès, à prendre certaines résolutions ;