à concevoir vaguement, mais obstinément, un type indécis de liberté publique que l’imagination cherchait soit dans l’antiquité, soit dans les forêts de la Germanie, soit dans les villes libres du moyen âge, soit dans les utopies de la renaissance. Les esprits cultivés surtout s’habituèrent à distinguer ainsi ce qui pourrait être de ce qui était. Cependant la littérature attaquait par tous les côtés les préjugés et les abus. La cour, le clergé, la noblesse, la finance, toutes les autorités subalternes devinrent l’objet constant de la satire sérieuse ou comique, et la conversation, écho fidèle des livres, fut un cours familier d’opposition. La conviction s’établit que la France était mal partagée. Un mécontentement rêveur était au fond de toutes les consciences; on n’attendait pour haïr et mépriser que le jour où la haine et le mépris pourraient aboutir, et, en attendant, l’esprit philosophique préparait des théories à tout événement. C’est là l’autre courant dont j’ai parlé. A côté de l’opinion qui poussait le gouvernement à innover dans l’intérêt du plus grand nombre, il y eut l’opinion qui attaquait le gouvernement en soi, comme incapable de faire le bien du plus grand nombre. Quelquefois les mêmes personnes le considérèrent tour à tour comme le sauveur universel et comme l’ennemi public. Les âmes humiliées, irritées, dégoûtées, aspirèrent chaque jour davantage à quelque délivrance inconnue, dont Rome, l’Angleterre, la Suisse et bientôt l’Amérique donnaient une obscure idée. Ce qui avait d’abord paru imaginaire sembla bientôt possible, et plus tard facile. Ce qui n’avait été qu’un regret devint une espérance. Le pouvoir, plus méprisé que haï, plus haï que redouté, cessa de paraître invincible. L’opinion sentit sa force et la faiblesse de l’adversaire. La civilisation, éblouissant les yeux par des merveilles, dissimulait le danger des luttes sociales. La douceur des mœurs, la culture des intelligences, la diffusion des lumières, la chute des préjugés oppressifs et persécuteurs, tout se réunit pour inspirer à la société une confiance illimitée en elle-même. Elle se flatta d’être arrivée à l’âge où la passion du bien devient la seule passion, où la force, la sagesse, la générosité peuvent s’unir dans un étroit embrassement. On commença à déplacer l’âge d’or : il était derrière, on le mit devant.
Ainsi deux résultats différens et simultanés : d’une part toutes facilités pour le despotisme, de l’autre impatience de le voir finir. D’après l’expérience et la pratique, le gouvernement pouvait tout oser et la nation tout souffrir. D’après la raison et la réflexion, on pouvait tout mépriser du passé, espérer tout de l’avenir. L’état avait un plein pouvoir, l’opinion était infaillible. Livrez l’état à l’opinion, que ne pourra pas entreprendre une telle société! que ne pourra-t-elle pas supporter! Qu’il est difficile, en lisant l’histoire