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famille s’était enrichie dans les affaires de l’Inde au point de donner son nom au plus beau diamant de l’Europe, se trouva être un orateur éloquent. Par là il devint ministre, et il se trouva un homme d’état. Alors il entra dans la noblesse par la puissance et la renommée, et il mourut avec le titre de comte de Chatham. Son fils cadet n’avait point de titre. Il étudia en droit; il commença le métier d’avocat, et suivit d’assises en assises un juge qui faisait sa tournée. Il ne dut à sa naissance que d’entrer jeune à la chambre des communes. Il parut aussitôt qu’il réunissait le talent et le caractère qui font l’orateur et le ministre, et, monté au faîte du pouvoir, il tint un jour tête à la convention nationale et à Napoléon. Il mourut en s’appelant M. Pitt.

Quand Guillaume III voulut créer duc le dernier comte de Bedford, celui-ci refusa plusieurs fois cette dignité. Son motif était qu’un comte qui avait une nombreuse famille pouvait placer un de ses fils au barreau et un autre dans un comptoir de la Cité, mais que les fils d’un duc, portant tous le titre de lord, ne pouvaient gagner leur vie en plaidant ou en trafiquant. L’objection n’arrêta pas Guillaume III, et en effet elle n’était fondée que pour une génération; les petits-fils d’un duc de Bedford, hormis l’aîné, peuvent voir s’ouvrir devant eux toutes les carrières utiles, et il n’y a point de nom en Angleterre condamné à déroger par le travail. Voilà les différences qu’il ne faut pas oublier, quand on compare la France et la Grande-Bretagne, et que l’on parle de privilèges, de noblesse et d’aristocratie.

Rien ne peut excuser un moment les crimes commis dans la révolution; mais que la nation n’eût pas au dernier jour de l’ancien régime un sentiment unanime de gratitude et de déférence pour les supérieurs que la naissance lui avait donnés, c’est malheureusement une chose trop simple, et il faut en accuser les institutions et non les personnes. Pourquoi cependant à cette indifférence légitime, aigrie par de misérables souffrances de vanité, mêlée d’un souvenir lointain des maux du régime féodal, a-t-elle ajouté une défiance malveillante pour l’autre classe privilégiée, bientôt persécutée avec la même rigueur et le même aveuglement? On pourrait signaler les fautes du clergé; mais j’aime mieux m’en prendre à sa position. Quel motif spécial, quelle inspiration heureuse aurait pu jadis lui suggérer cette active sollicitude pour le bien de l’état qui manquait à tout le monde, ce soin rare de veiller avec constance et succès aux intérêts de la société? C’était pour lui plus difficile encore que pour la noblesse. En tout, convenons que le moyen âge a fait au clergé, sous le point de vue politique, un rôle bien embarrassant. Est-il certain que la distinction des deux puissances, inconnue aux anciens, ait été une