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l’affaiblir. Il est impossible que, toutes choses égales d’ailleurs, le mouvement naturel d’une société en voie de civilisation ne soit pas d’élever, soit par la richesse, soit par les succès du talent, du courage et du travail, quelques-uns de ceux qui appartiennent aux classes secondaires et par conséquent ces classes mêmes, la cause qui les a subordonnées ne se renouvelant pas, et les causes qui les affranchissent ou les réhabilitent ne cessant pas d’agir. Tout ordre social tend de lui-même vers la justice, et la justice met peu à peu les droits que le temps produit au niveau des droits qu’a créés la force. Le cours régulier des choses est donc un certain progrès vers l’égalité en général, et la démocratie, puisqu’on est convenu de se servir de ce mot, est la forme sociale vers laquelle marchent à pas plus ou moins lents, plus ou moins rapides, toutes les sociétés européennes. Mais ces races germaniques, élément exclusif ou principal de l’aristocratie, avaient, outre la puissance que donnent la guerre et la fortune, quelques qualités particulières, quelques dons acquis ou naturels, devenus héréditaires, qui les distinguaient des races indigènes, ou antérieurement renouvelées, placées par la victoire sous leur domination. L’esprit germain est partout reconnaissable, et partout les lois, les mœurs, les langues, toutes les choses sociales portent une empreinte plus ou moins marquée de son influence. Nulle part peut-être, au nord de l’Italie, cette empreinte n’est plus faible qu’en France. Notre nation est la moins germaine des nations germanisées. Par des causes diverses, dont l’action de la civilisation romaine dans les Gaules me paraît la principale, c’est en France que les caractères distinctifs de la race conquérante se sont le plus promptement atténués. La France est par conséquent le pays où l’établissement aristocratique s’est le moins développé, où, dans tous les cas, il a été le plus tôt modifié par d’autres élémens constitutifs de la société, et c’est pour cela, c’est parce que l’aristocratie y a été moins forte qu’elle y est moins supportée. Les mêmes causes qui l’ont rendue faible ou passagère l’ont rendue impopulaire; elle n’a pas pris, pour ainsi dire; elle n’a pas plus réussi à ceux qui en pouvaient profiter qu’auprès de ceux qui en auraient pu souffrir. Le véritable esprit aristocratique n’a jamais dominé, ou n’a dominé que temporairement, dans les rangs des classes privilégiées. On a pu jouir des privilèges, aimer certaines immunités, s’enorgueillir de quelques distinctions, et au besoin combattre pour tout cela; mais représenter la nation d’une manière permanente, la gouverner héréditairement, donner à sa politique un caractère de stabilité et de progrès, vouloir que sa liberté et sa prospérité fussent l’œuvre de ses chefs, se sentir enfin chargés d’elle par un choix de la Providence et responsables de son honneur et de ses destinées, c’est ce que