Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’ANCIEN RÉGIME
ET
LA RÉVOLUTION
PAR M. ALEXIS DE TOCQUEVILLE.


On croyait la question jugée. Il semblait que l’œuvre de la révolution française était faite et que son procès était gagné. Il n’y a pas dix ans que l’on pensait encore qu’on avait eu d’excellentes raisons pour remplacer tout l’ancien régime par l’état nouveau des sociétés.

Mais les événemens sont venus. Bien des espérances ont été déçues, bien des doctrines démenties. Tous les partis, ayant successivement échoué, ont été condamnés à douter d’eux-mêmes. Les promesses de 1789 ont encore une fois été accusées d’imposture. Des esprits du moins qui se tenaient pour de fermes esprits, plus troublés qu’ils ne l’avouaient, et prenant leur trouble pour sagesse, ont fait un triste retour sur le passé, et se sont demandé si nos pères n’avaient pas eu tort d’autant entreprendre, ayant eu tort d’autant espérer. L’effort en tout cas avait coûté cruellement cher, et il n’avait pas encore été heureux. Les sacrifices succédaient aux sacrifices, les épreuves aux épreuves, et le résultat précaire, incomplet, contesté, n’était point, pour tant de travaux, une juste récompense. Rétrogradant d’époque en époque, rétractant toutes les affirmations successives de l’esprit des temps modernes, des spéculatifs ont rebroussé chemin jusqu’au moyen âge. Des politiques, gens plus sages ou moins absolus, ne sont pas remontés si haut, mais enfin ils ont reposé le problème de 1789. Que faut-il penser de l’ancien régime ? Que faut-il penser de la révolution ?