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compte du masque humain. Personne, après avoir lu nos prolégomènes biographiques, n’osera contester la vérité de nos affirmations. C’est pour la critique une voie toute nouvelle. La discussion se traînait dans l’ornière; grâce à la biographie de don Federico, elle va renoncer à ses habitudes mesquines : elle ne s’en tiendra plus aux lumières de la raison naturelle. Les lois du goût seront remplacées par une donnée inconnue jusqu’ici dans l’histoire de l’art, — la notion des signes fatidiques.

M. Madrazo a fait plusieurs voyages en France. Son biographe cite avec complaisance et même avec fierté tous les hommes illustres qui l’ont honoré de leurs conseils et de leur amitié. C’est une belle chose assurément que la reconnaissance, mais il faudrait qu’elle fût accompagnée d’un peu de discernement. Or, dans l’énumération faite par M. Ochoa, je vois figurer M. Dauzats. Si l’Espagne prend M. Dauzats pour un homme illustre, c’est de sa part une étrange aberration. Chez nous, M. Dauzats n’a jamais passé que pour un artiste doué d’une certaine adresse dans le maniement du pinceau; mais personne n’a jamais songé à lui conférer le titre d’illustre. Si je mentionne cette bévue, c’est que sans doute M. Ochoa exprime l’opinion de don Federico. Voilà donc M. Dauzats placé parmi les hommes illustres de la France! Et dire qu’il suffit de rester en-deçà des Pyrénées pour être d’un autre avis! C’est bien le cas de s’apitoyer sur le néant et l’instabilité de la gloire! Après M. Dauzats, M. Alaux, autre illustration qui ne nous étonne pas moins. M. Ochoa ne parle ni de M. Eugène Delacroix, ni de M. Paul Delaroche. J’ai donc lieu de penser que don Federico ne connaît pas tous les hommes illustres de notre pays, et je comprends maintenant pourquoi il s’accommode si difficilement de la discussion. MM. Delacroix et Delaroche lui auraient appris que chez nous les mérites les plus éclatans sont soumis au contrôle de l’opinion publique. Il est probable que l’illustre M. Dauzats a négligé de l’édifier à cet égard.

En 1835, don Federico publiait à Madrid un journal d’art et de littérature. S’il faut en croire son biographe, son beau-frère, ce journal ne se distinguait pas précisément par la modération. Il paraît que la polémique n’y était pas toujours réglée par les conseils de la prudence et de la sagesse. M. Ochoa, en ami fidèle et dévoué, met sur le compte de la jeunesse les véhémences de M. Madrazo. C’est à merveille, je ne demande pas mieux que d’accepter l’excuse proposée; mais ne conviendrait-il pas, quand on a péché soi-même, péché d’une manière authentique, de se montrer plus tolérant envers le prochain? Sied-il bien d’abriter son amour-propre derrière une plainte en diffamation, quand on a soi-même affligé de ses paroles les poètes et les artistes de son temps? C’est une question que nous