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Grand merci, bonnes âmes! je n’ai pas besoin de votre pardon. Réservez pour des péchés mieux avérés les trésors de charité que vous me destiniez si généreusement. Je n’ai pas de confession à faire, et je puis me dispenser d’un acte de contrition. Molière et Beaumarchais me viennent en aide. Avec de tels défenseurs, je suis sûr de gagner ma cause. Quand il m’arrive de me tromper, je n’hésite jamais à l’avouer; mais je ne veux pas gaspiller le repentir pour une faute imaginaire. Je déclare formellement que je ne veux parler ni de la reine Isabelle, ni de son mari don Francisco, et vous prétendriez donner comme un jugement positif un jugement présenté sous forme hypothétique ! Pour se consoler d’une telle injustice, il faut relire les Provinciales, et voir comment certains casuistes trouvent moyen de prouver qu’il est permis de mutiler la pensée de son adversaire, pourvu qu’on n’y ajoute rien. M. Madrazo a profité de ce précieux conseil; il n’ajoute rien à ma pensée, mais il supprime la phrase qui me justifie pour interpréter à sa manière la phrase dont le sens lui paraît indécis. Il paraît que la rhétorique est toujours en honneur de l’autre côté des Pyrénées. Si j’avais pu en douter, je l’apprendrais aujourd’hui à mes dépens, puisque M. Madrazo essaie de trouver dans le conditionnel innocent que j’ai employé avec tant d’imprudence une prétention criminelle, qui mériterait les châtimens les plus sévères. Je n’ai jamais eu, je le confesse, une estime bien haute pour la rhétorique. L’art de bien dire, séparé de l’art de bien penser, m’a toujours paru très dangereux pour la santé de l’intelligence. Sans doute au-delà des Pyrénées l’art de bien dire est jugé avec plus d’indulgence. Qui donc parmi nous songerait à la prétérition? Les tropes de Dumarsais ne sont guère connus hors du collège, et ceux qui les ont étudiés se hâtent de les oublier dès qu’ils veulent parler à la foule. M. Madrazo, je le vois bien, professe pour la rhétorique une estime fervente. Quand je dis : « Je ne veux parler ni de la reine Isabelle, ni de son mari don Francisco, » il en conclut que mon intention positive est de faire précisément le contraire. Pour lui, c’est une prétérition. Il n’admet pas que ma parole en cette occasion soit l’expression f: anche et sincère de ma pensée. Une preuve surabondante d’ailleurs que je n’ai parlé ni du portrait du roi ni du portrait de la reine, c’est que parmi les quinze ouvrages de M. Madrazo inscrits au livret, j’en ai choisi trois qui me paraissaient suffire pour caractériser nettement sa manière, et les termes dont je me suis servi s’appliquent exclusivement et ne peuvent s’appliquer qu’aux trois portraits de la duchesse d’Albe, de la duchesse de Medina-Cœli, de la comtesse de Vilches, les seuls dont j’aie parlé. Où peut mener pourtant la passion de la rhétorique? Depuis longtemps je me défiais de cette passion. A l’avenir, pour éviter toute