Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accusation, il coupe ma pensée en deux. C’est un procédé que les disciples de Loyola peuvent approuver, mais qui blessera plus d’une conscience dans la patrie même de Marceline de Verte-Allure. J’ai dit en termes formels et précis : « Je ne veux parler ni de la reine Isabelle, ni de son mari don Francisco, » et j’ai pris soin d’expliquer pourquoi. M. Madrazo se garde bien de citer cette phrase explicative, qui lui donnerait tort, qui réduirait à néant son accusation. En digne élève de Marceline de Verte-Allure, il ne cite que la seconde moitié de ma pensée, et croit tirer parti contre moi d’une phrase très claire pour tous ceux qui connaissent notre langue, mais dont le sens n’est pas bien défini pour ceux qui préfèrent les arguties de la chicane aux principes de Lhomond. La première partie de ma pensée indique très clairement le sens de la seconde moitié. La seconde moitié séparée de la première est pour les commentateurs un thème plantureux. Imprudent que je suis ! j’ai pu écrire : « Ce serait me montrer trop sévère que de demander à M. Madrazo pourquoi il n’a pas fait de la reine Isabelle et du roi don Francisco deux portraits magnifiques ! » Cette phrase, avec laquelle le disciple de Marceline veut m’accabler, n’a rien de périlleux pour moi, si l’on prend la peine de lire la déclaration très positive qui la précède; mais en l’isolant, on arrive à démontrer aux âmes naïves que j’ai agi avec perfidie, que j’ai prononcé un jugement sur une œuvre imaginaire. A qui demander secours dans ma détresse? J’ai beau feuilleter tous les livres qui traitent des délits commis par la parole et par la presse, je ne trouve pas un argument qui puisse me sauver. Jamais en France personne n’a mis en doute ma bonne foi : il était réservé à un compatriote de Marceline de Verte-Allure de porter contre moi cette terrible accusation. Le silence de la loi sur une question si délicate ferait de moi un objet de risée, si la grammaire, qui commande aux rois mêmes, au témoignage de Molière, ne venait à mon secours. Ah ! vous parlez des ouvrages que vous n’avez pas vus, vous donnez votre sentiment sur un portrait à peine ébauché, qui n’a pas quitté Madrid!... Vous ne méritez plus aucune confiance. Eussiez-vous maintenant cent fois raison en parlant des œuvres placées devant vos yeux, que chacun peut voir librement, personne ne croira plus à votre sincérité. Vous avez blâmé le portrait de la reine Isabelle, qui n’était pas à Paris... Sur quoi se fondait votre blâme? Répondez, si vous l’osez. — Vous ne répondez pas? ajouteront les bonnes âmes. Eh bien! vous prenez le parti le plus sage. Le silence est pour vous la défense la plus prudente. Humiliez-vous, puisque vous avez péché. Roulez vos cheveux dans la cendre en signe de deuil, et quoique ce soit là une coutume païenne, peut-être consentirons-nous à vous pardonner. Nous oublierons votre méchante équipée, si vous témoignez un repentir sincère.