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bestiaux, leurs instrumens de labour et de travail; mais souvent les retards et les difficultés du voyage les obligent à tuer les animaux, à abandonner les instrumens et les voitures. La route est semée çà et là d’ossemens et de débris de toute espèce. Arrivé dans la vallée de la Nebraska, Frémont l’explora jusqu’au point où la rivière se bifurque : il envoya de là un de ses compagnons sur la branche septentrionale, et remonta lui-même la branche méridionale jusqu’à la source, qu’il trouva à la hauteur de 5,400 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le niveau du sol s’élève très graduellement et très régulièrement depuis le Missouri jusqu’aux Montagnes-Rocheuses, en face desquelles Frémont était arrivé. La branche du fleuve qu’il avait suivie y prend naissance, non loin de l’un des pics les plus hauts de cette chaîne, le pic de Long, que les Canadiens nomment ordinairement le pic des Deux-Oreilles.

Frémont remonta vers le nord, en suivant le pied oriental des Montagnes-Rocheuses dans la partie où les articulations de la chaîne forment trois hautes vallées ou plutôt trois bassins, que leur magnifique verdure a fait surnommer les Parcs, il alla rejoindre le reste de sa troupe au fort Laramie, où il séjourna quelque temps. Ce fort est un bâtiment quadrangulaire bâti en argile non cuite, à la façon mexicaine; les murs ont cinq mètres de haut, et les habitations s’ouvrent sur une grande cour intérieure. Le fort Laramie était, au moment du passage de Frémont, un des postes principaux de la compagnie américaine des fourrures; toutes les tribus indiennes voisines venaient deux ou trois fois par an faire l’échange de leurs peaux de buffle et de leurs fourrures contre des articles de toute espèce, couvertures, calicot, fusils, poudre, plomb, verroteries, vermillon, tabac et liqueurs. Frémont signale en passant les terribles ravages que fait l’ivrognerie parmi les Indiens. Il est officiellement interdit de leur vendre des boissons spiritueuses, mais cette défense est complètement illusoire; l’Indien donne le produit de sa chasse et tout ce qu’il possède pour avoir de l’eau-de-vie. Les grandes compagnies qui font le commerce de fourrures sont trop intéressées à ce que les Indiens conservent leurs armes et leurs chevaux pour se prêter à de pareils marchés; mais les aventuriers qui font le commerce avec les tribus, et qu’on nomme les coureurs des bois, n’ont pas le même scrupule. Ce n’était pas assez d’expulser les hommes rouges des territoires dont, pendant des siècles, ils avaient été les souverains incontestés, de les exterminer comme des bêtes sauvages : il fallait encore faire périr ce qui reste d’une noble race dans la misère et l’abjection.

Au-delà du fort Laramie, la contrée change complètement d’aspect. Le pays devient sablonneux et en apparence stérile; la terre est