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Que se passait-il à ce moment dans l’âme de sir Robert Peel ? Était-il content ou triste, fier ou abattu ? Ressentait-il plus vivement son triomphe ou sa défaite ? Regrettait-il le pouvoir qu’il perdait avec tant d’éclat ? J’incline à croire qu’au fond du cœur sa satisfaction était grande, car deux sentimens, très puissans en lui, étaient satisfaits, l’orgueil et le désir du repos dans la victoire. Cet athlète si fort, et qui avait tant combattu, avait, si je ne me trompe, peu de goût pour la lutte ; elle froissait péniblement sa dignité susceptible et un peu solennelle. Cet acteur politique depuis l’enfance ne connaissait guère dans la vie publique aucun plaisir d’intimité, et se repliait volontiers dans les affections et les joies de la vie domestique, que Dieu lui avait accordée grande et douce. Depuis quelque temps d’ailleurs, un peu de lassitude physique et morale le gagnait ; quoiqu’il n’eût jamais déployé plus de vigueur d’esprit et de volonté, on remarquait que son regard était moins vif, sa démarche moins ferme, et on démêlait dans son accent quelques nuances de mélancolie. Quelles circonstances lui eussent jamais été plus favorables pour la retraite ? Elle était à la fois obligée et glorieuse. Il sortait vainqueur du pouvoir, qu’il n’eût pu garder qu’en subissant des embarras et des échecs continuels, ou en affrontant pour son pays et pour lui-même, par la dissolution du parlement, les chances redoutables de ce grand vent démocratique dont il n’avait connu jusque-là que le souffle propice. Pour que rien ne manquât à l’honneur de son cabinet expirant, il reçut à ce moment même la nouvelle que le différend entre l’Angleterre et les États-Unis sur la possession du territoire de l’Orégon était réglé, et que le sénat comme le président américain avaient accepté le projet de convention dressé et envoyé six semaines auparavant à Washington par lord Aberdeen. Au dedans, la plus grande bataille que sir Robert Peel eût jamais engagée était gagnée ; au dehors, toutes les questions qu’il avait trouvées en suspens étaient résolues. Il léguait, en se retirant, la victoire à sa cause et la paix à son pays.

Le 29 juin 1846, cinq ans après le vote de non-confiance qui avait renversé en 1841 le cabinet whig, et quatre jours après le rejet du bill sur la répression des désordres d’Irlande, le duc de Wellington et sir Robert Peel viennent annoncer, l’un à la chambre des lords, l’autre à la chambre des communes, que la reine avait accepté les démissions du cabinet et chargé lord John Russell de former une nouvelle administration. Le duc de Wellington se borna à déclarer le fait en invitant la chambre des lords à continuer de siéger, mais uniquement pour les affaires courantes, jusqu’à ce que le nouveau cabinet fût entré en fonctions. Sir Robert Peel jeta un coup d’œil en arrière sur les grandes questions qu’il avait été appelé à traiter, rap-