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en le faisant je rendrai probablement service à d’autres membres qui ne veulent pas plus que moi accepter pour leur vote le sens que l’honorable représentant de Lynn (lord George Bentinck) attache au sien. Le noble lord nous a dit franchement que le but de la majorité qui va se former était de faire justice du très honorable baronet pour sa politique pendant cette session. Il a dit, si je ne me trompe, que tout honnête homme devait vouloir punir le traître, quoique la trahison pût plaire à quelques-uns… Je répudie, pour moi et pour beaucoup d’autres honorables membres, cette fausse et injuste interprétation de notre vote. Nous agirions en contradiction choquante avec l’opinion populaire, nous lui ferions outrage si nous acceptions une telle apparence envers le très honorable baronet qui a fait réussir une des mesures les plus populaires qu’ait jamais tentée aucun ministre, et au moment même où cette mesure nous arrive triomphante d’une autre enceinte… L’honorable baronet attache, à ce qu’il paraît, au bill que nous discutons tant d’importance, qu’il est résolu à rester ministre ou à tomber selon le sort de ce bill. Je n’ai rien à voir dans ses desseins ; … mais j’ai à dire contre le sentiment du noble lord (lord George Bentinck) que, si l’honorable baronet se retire à cause de ce vote, il emportera avec lui l’estime et la reconnaissance d’une population infiniment plus nombreuse que n’en a jamais vu autour de lui aucun ministre précipité du pouvoir. Il montre une grande modération en ne se prévalant pas de la force qu’il possède dans le pays pour prendre au mot ses adversaires et en appeler au jugement du pays. S’il ne le fait pas, je suis sûr que j’exprime le sentiment du peuple, non-seulement des électeurs, mais spécialement des classes ouvrières, en offrant à l’honorable baronet, en leur nom comme au mien, mes profonds remerciemens pour l’infatigable persévérance, l’inébranlable fermeté et la grande habileté avec lesquelles, pendant ces six derniers mois, il a conduit à travers cette chambre une des plus magnifiques réformes qui aient jamais été accomplies chez aucune nation. »

Personne ne prit la parole après M. Cobden. On vota, et la réunion des trois classes d’opposans, les whigs, les radicaux et les conservateurs irrités, mit sir Robert Peel dans une minorité de 73 voix. Un profond silence accueillit ce résultat ; les plus charmés du succès n’osaient s’en montrer fiers. Sir Robert, en sortant, fut accueilli par des acclamations. Un illustre voyageur musulman, le fils aîné de Méhémet-Ali, Ibrahim-Pacha, qui assistait ce jour-là à la séance de la chambre des communes, eut dans l’espace d’une heure le double spectacle du triomphe et de la défaite du premier ministre d’Angleterre, contraste étrange dont il demanda probablement et ne comprit peut-être pas très bien l’explication.