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homme supérieur l’imparfait succès de ses desseins ! Les défauts du parti conservateur se révélèrent en même temps, et bien plus graves que ceux de son chef. Depuis quatre ans, le parti grondait sourdement et se détraquait sous le poids des efforts et des sacrifices que lui demandait sir Robert Peel, efforts contre ses préjugés et ses goûts, sacrifices d’amour-propre ou d’intérêt. Le collège de Maynooth, les mesures d’équité envers les catholiques, les dissidens et les juifs, la double révision des tarifs, tant d’autres réformes utiles, mais importunes à de vieilles habitudes de conscience ou de domination, avaient épuisé ce que le gros du parti conservateur possédait d’esprit libéral et d’impartialité éclairée. Quand arriva la question des grains, sa sagesse était à bout. De toutes les innovations qu’on lui imposait, celle-là était la plus onéreuse : elle s’attaquait aux intérêts privés, les frappant dans le présent et les inquiétant dans l’avenir, on ne savait pas bien à quel point. Les intérêts privés se défendirent avec l’obstination de l’égoïsme aristocratique ; ils ne tinrent nul compte des atténuations qu’apportait sir Robert Peel au dommage qu’il leur faisait subir. Ils n’étaient pas seuls atteints par ses mesures : pour la plupart des produits manufacturés comme des denrées agricoles, il abandonnait le système protecteur, et les fabricans de Manchester ou de Leeds étaient mis aux prises, aussi bien que les gentilshommes de comté, avec la concurrence étrangère ; mais, pour les principales sortes de grains, au lieu d’abolir immédiatement et absolument les droits à l’importation, il se contentait de les réduire, et l’entière abolition ne devait s’accomplir qu’au bout de trois ans. Il accordait à l’agriculture, sur diverses dépenses et taxes locales, des dégrèvemens et des encouragemens qui n’étaient pas sans valeur. Les intérêts froissés traitèrent ces ménagemens avec un dédain courroucé et repoussèrent la solution de sir Robert Peel, comme ils auraient repoussé celle des radicaux. Ils pouvaient invoquer à leur appui des principes plus nobles que leurs prétentions pécuniaires, l’esprit de conservation et la fidélité de parti ; ils s’enveloppèrent de ce drapeau, sincères dans leur mensonge et convaincus qu’en se défendant ils défendaient la moralité politique et l’ordre dans l’état. Quiconque lira attentivement ces longs débats sera frappé du peu de place que tient dans les discours des conservateurs opposans la question même. Sir Robert Peel avait parmi eux deux habiles et éloquens adversaires, M. Disraeli et lord George Bentinck : le premier dit à peine quelques mots du fond des mesures, c’est sur la conduite et le caractère politique de sir Robert qu’il dirige tous ses coups brillans et perçans comme l’acier ; lord George Bentinck se préoccupe davantage du mérite économique et des motifs des propositions. Cet homme de courses et de plaisirs a étudié soigneusement