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chaque jour de plus près ? Nul ne le sait ; mais nul ne peut douter que cet avenir ne leur appartienne. C’est, pour tous les états chrétiens, un acte de prévoyance comme de sens moral d’en tenir grand compte dans leur politique, et de ne pas se mettre en lutte directe et permanente avec, des faits qui éclateront infailliblement un jour, et qui seront, quand ils éclateront, un triomphe pour l’humanité.

En septembre 1844, trois ans après l’avènement du cabinet de sir Robert Peel, au moment où sa troisième session parlementaire atteignit son terme, deux des affaires qui avaient failli troubler les bons rapports de l’Angleterre avec la France, celles de Taïti et du Maroc, étaient réglées ; la troisième, celle du droit de visite, s’acheminait vers une solution amicalement concertée. Dans le même laps de temps, le cabinet britannique avait victorieusement terminé la guerre et conclu la paix avec la Chine. Après avoir réparé, par une campagne vigoureuse, les échecs des armes anglaises dans l’Afghanistan, il avait, avec une fermeté franche et sage, renoncé à une conquête difficile à faire, difficile et compromettante à garder, si elle eût été faite. Par un traité signé le 9 août 1842 à Washington, il avait réglé avec les États-Unis d’Amérique la délimitation des frontières des deux puissances dans le nord et le mode de leur concours pour la répression de la traite ; leur différend sur la possession de l’Orégon restait seul en suspens. Sir Robert Peel et lord Aberdeen avaient ainsi, en trois ans, sans atteinte à la paix, sans perturbation grave entre les puissances, en maintenant ou rétablissant au contraire partout les bons rapports, résolu toutes les questions de politique extérieure qu’ils avaient trouvées engagées quand ils avaient pris les affaires, et toutes celles qui s’étaient élevées pendant leur administration. Et ils n’en avaient suscité eux-mêmes aucune ; ils n’avaient cherché dans aucun événement prématuré, dans aucune complication factice, de la force ou de l’éclat pour leur pouvoir. Ils avaient suffi à tout et n’avaient rien provoqué. C’est là le vrai caractère, le caractère sensé et moral de la bonne politique extérieure. Elle ne considère pas les peuples comme des instrumens dont elle dispose pour le succès de ses propres inventions et des combinaisons de sa pensée ambitieuse ou inquiète ; elle fait leurs affaires au dehors à mesure qu’elles se présentent naturellement et appellent une solution nécessaire, regardant toujours la paix comme son but et le droit comme sa loi. Ce fut à cette époque l’heureuse condition de la France et de l’Angleterre que les deux gouvernemens fussent animés du même esprit et se prêtassent loyalement, pour le faire prévaloir, un mutuel appui.



GUIZOT.