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joie diabolique dans les paroles de quelques personnes à propos du mauvais temps ; il avait le plaisir d’annoncer à la chambre que depuis quelques jours le baromètre montait. Le rire éclata sur tous les bancs, et quatre jours après, le 9 août 1845, le parlement fut prorogé, attendant, disait-on, l’abrogation ou le maintien de la loi sur les grains des variations du baromètre.

Les craintes ne tardèrent pas à se réaliser, et le mal dépassa les craintes. Le temps demeura humide et froid. La moisson fut tardive et insuffisante. Atteintes d’une maladie soudaine et jusque-là inconnue, les pommes de terre manquèrent dans beaucoup de comtés en Angleterre et en Écosse, partout en Irlande. Dès le milieu de l’automne, la souffrance populaire était déjà grande, l’alarme universelle et passionnée. Tout le monde prévoyait la nécessité de vastes achats de blé à l’étranger ; mais comment y suffirait-on ? D’énormes capitaux étaient engagés dans les entreprises intérieures, surtout dans la construction de nouveaux chemins de fer. Des bills votés dans la dernière session en avaient autorisé pour une étendue de 284l milles (4 545 kilomètres) et pour une somme d’environ 48 millions de livres sterling. (1 milliard 180 millions de francs). Ces travaux devaient être exécutés en trois ans, ce qui exigeait par mois un capital de plus de 1 300 000 livres sterling (32 500 000 fr.). Des projets pour des entreprises analogues étaient dressés et prêts à être soumis aux chambres dans la session prochaine, s’élevant à plus de 100 millions de livres sterling (2 milliards 500 millions de francs). Une crise monétaire semblait imminente comme la disette. En vain les optimistes, par intérêt ou par penchant, soutenaient qu’on exagérait le mal ; les alarmes publiques s’aggravaient par leurs efforts mêmes pour les calmer. La Société centrale d’Agriculture, qui avait entrepris contre la ligue la défense du système protecteur, adressa à toutes les associations locales vouées au même intérêt une circulaire pour démentir les bruits accrédités sur l’insuffisance des récoltes, et exciter ainsi le zèle des partisans de la protection en ranimant leur confiance ; mais la ligue, qui s’était un moment ralentie, reprit aussitôt toute son ardeur. Dans un grand meeting tenu le 28 octobre à Manchester, M. Cobden, avec sa passion ordinaire, somma le gouvernement, c’est-à-dire sir Robert Peel, de sauver le pays menacé de la famine. « Voyez la Prusse, voyez la Turquie, voyez l’Allemagne, la Hollande, la Belgique ! ces gouvernemens n’ont pas attendu ; dès qu’ils ont vu le mal, ils ont ouvert leurs ports. Pourquoi le nôtre n’en fait-il pas autant ? Pourquoi attend-il des Turcs une leçon de christianisme et des Russes une leçon d’humanité ? Est-ce qu’il serait moins charitable qu’un divan musulman ? Est-ce que notre système constitutionnel serait moins humain que le des-