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huit thèses libérales que lord John Russell avait présentées à l’approbation de la chambre. « Je ne pense pas, dit-il, que le noble lord ait engagé la question de manière à arriver à quelque résultat utile… Il est très aisé de faire des promesses, de poser des principes larges et libéraux ; c’est quand on veut les transformer en mesures pratiques, que les difficultés se présentent. Je m’oppose à la résolution proposée, non-seulement parce qu’elle embrasse des sujets très divers qu’il vaut mieux traiter chacun séparément, mais parce qu’il ne convient pas que le parlement s’engage à réformer un régime paroissial, à établir un système d’émigration ou d’éducation, pour découvrir ensuite qu’on n’est ni prêt, ni d’accord sur les moyens d’exécution. » En repoussant l’abolition complète et immédiate des lois sur les grains, que demandait M. Villiers, Peel introduisit dans le débat des vues morales étrangères et supérieures aux principes stricts de liberté commerciale dont s’armaient ses adversaires, « Sous l’empire de la loi actuelle, il s’est établi, dit-il, entre le propriétaire, le fermier et le laboureur, des rapports qui ne sont pas uniquement fondés sur des considérations pécuniaires. Beaucoup de propriétaires de ce pays sont accoutumés à voir dans la terre qu’ils possèdent autre chose qu’une matière à de pures spéculations commerciales. D’après les principes que soutient l’honorable membre, il dirait, j’en ai peur : — que le propriétaire retire de sa terre tout ce qu’il pourra, c’est son droit ; — et d’après ce même principe, à l’expiration d’un bail, le propriétaire a le droit de louer sa terre aussi cher qu’il le peut. Je ne dis pas que, si vous abolissez les lois sur les grains, ce ne sera pas là un des moyens de surmonter les difficultés que rencontrera le propriétaire ; quand on aura soudainement appliqué aux produits de la terre les principes du commerce, peut-être faudra-t-il les appliquer aussi à la terre même. On ne tiendra plus compte alors des relations établies, peut-être depuis des siècles, entre le possesseur de la terre et la famille qui l’exploite : plus d’égards pour le laboureur ; que le propriétaire prenne l’homme qui lui fera le plus d’ouvrage pour ses dix ou douze shellings par semaine ; qu’il ne se soucie plus des vieux et des faibles, qui ne peuvent travailler comme les jeunes et les forts. Sous un point de vue purement commercial, la terre peut être ainsi possédée ; sous un point de vue social et moral, je le regretterais profondément : le caractère du pays en serait altéré, et il en résulterait pour la société des maux qu’aucun profit pécuniaire, aucune stricte application des principes commerciaux ne pourraient compenser. Je ne pousserai pas cela trop loin ; je ne dirai pas, parce que cela ne peut pas se dire, que l’agriculture doit être exempte de l’application graduelle des principes qui régissent d’autres intérêts… Ce que je