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sans aux économistes. Il ne s’agissait plus d’une question locale dans le pays et spéciale dans la population ; la liberté du commerce devenait une passion démocratique aussi bien que scientifique, et, dans l’instinct du peuple comme dans le raisonnement des doctes, un intérêt national.

Dans cet état des esprits, sir Robert Peel s’efforçait en vain de se taire ; l’opposition relevait sans cesse la question qu’il ne savait encore comment résoudre, quoiqu’il se sentît plus impérieusement poussé chaque jour vers la solution. Le 26 mai 1845, lord John Russell proposa dans la chambre des communes huit résolutions qui touchaient à tous les sujets dont le public était préoccupé, à la loi des grains, à la liberté générale du commerce, à l’éducation publique, à la colonisation, au régime des pauvres dans les paroisses, exprimant sur toute chose des idées libérales, des tendances généreuses, ouvrant en tous sens des perspectives et prodiguant les espérances, mais sans indiquer aucune mesure précise, aucun terme fixe : vague manifeste d’une ambition noble et hardie pressée de saisir le pouvoir, et se promettant d’en bien user sans se rendre d’avance un compte bien exact de l’usage qu’elle en ferait et sans s’en inquiéter beaucoup. Quinze jours après, M. Villiers redemanda la complète abolition des lois sur les céréales, et malgré quelques réserves de langage, la plupart des whigs comme les radicaux, lord John Russell et lord Howick comme M. Cobden et M. Bright, appuyèrent vivement sa motion. En pesant ainsi sur sir Robert Peel, plusieurs d’entre eux croyaient le seconder, bien loin de lui déplaire ; hors des chambres, dans les réunions de Covent-Garden, ils s’en expliquaient ouvertement. « Sir Robert Peel, disait là M. Bright, sait parfaitement ce qu’il faut au pays… Il n’a pas passé près de quarante ans dans la vie publique, entendant tout ce qui se dit, lisant tout ce qui s’écrit, voyant presque tout ce qui se fait, sans arriver à cette conclusion que, chez une nation de 27 000 000 d’âmes, qui s’est accrue de 1 500 000 âmes depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 184l, une loi qui refuse à cette population le supplément de nourriture que le monde pourrait lui donner ne saurait être maintenue, et que son gouvernement fût-il dix fois plus fort qu’il ne l’est, il faudra qu’il cède à l’irrésistible nécessité. Pour moi, d’après le dernier discours de sir Robert, je parierais volontiers qu’il médite la révocation des lois sur les grains. Il vient du même comté où la ligue a pris naissance ; sa fortune s’est faite par ces mêmes fins tissus de coton qui sont destinés à changer dans ce pays la face des choses. Il sort du commerce, et à moins que lui-même ne m’y force, je ne croirai jamais qu’aucun homme veuille, encore moins qu’il veuille, lui, descendre dans son tombeau ayant eu le pouvoir de rendre le commerce