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qu’il se remît en mouvement, voyant bien son but et se sentant en état de l’atteindre. À l’ouverture de la session de 1845, dans le débat de l’adresse, lord John Russell, en réclamant pour les grains l’application des principes généraux de la liberté du commerce, essaya d’embarrasser et de compromettre le cabinet, qu’il voulait contraindre à s’expliquer. Sir Robert Peel ne répondit point. Deux jours après, M. Cobden témoigna sa surprise que la reine, dans son discours, n’eût rien dit des souffrances qui pesaient, dans plusieurs comtés, sur la population agricole, et il annonça qu’il provoquerait la formation d’un comité d’enquête sur les causes de la détresse de l’agriculture. Dans la courte discussion qui s’engagea à ce sujet, quelques défenseurs du système protecteur imputèrent cette détresse au récent affaiblissement de la protection. Sir Robert Peel se borna à repousser ce reproche. « Je ne pense pas, dit-il, que l’état de souffrance de l’agriculture provienne, à aucun degré, des lois que j’ai fait naguère adopter, et je me fais un devoir de dire que je ne me propose pas de réclamer une nouvelle intervention du parlement. Je crois le rétablissement de la protection à son ancien taux impossible, et, fût-il possible, je ne me prêterais pas à ce retour vers une plus forte protection comme à un remède contre la détresse actuelle, que je déplore, mais que j’attribue à des causes naturelles. »

Cette immobilité, seule consolation que Peel offrît aux partisans de la protection, ne pouvait contenter les amis de la liberté. M. Cobden reprit sa motion d’une enquête sur les causes de la détresse de l’agriculture. Après avoir bien constaté, par les dires des conservateurs eux-mêmes, soit au dedans, soit au dehors de la chambre, et du gouvernement lui-même, le fait de cette détresse, il soutint que le système protecteur, inventé pour la prévenir ou la soulager, en était la première et véritable cause, que les fermiers étaient des manufacturiers aussi bien que les fabricans de fil ou de toile, et que la liberté du commerce serait aussi bonne aux laboureurs des campagnes du Norfolk ou du Devonshire qu’aux ouvriers de Leeds et de Manchester. Il fut tour à tour simple et ingénieux, familier et éloquent, pressant et point amer, abondant en faits et adroit dans l’argumentation, évidemment animé par une conviction profonde et par un patriotisme sincère, exempt de jalousie et d’hostilité démocratique. « Je ne puis croire, dit-il en s’adressant aux conservateurs, qu’aux dernières élections il ne se soit agi que d’un jeu politique ; vous n’êtes pas venus tous ici comme de purs politiques. Il y a des politiques dans cette chambre, des hommes animés d’une ambition probablement juste et légitime, et qui, après trente ans de service public, engagés dans une ornière d’où ils ne peuvent sortir, gardent le pouvoir, et un grand pouvoir, probablement aux dépens de leur