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pitamment et témérairement à de si grands intérêts, on n’y porte pas le trouble et l’alarme sans paralyser l’industrie. Nous n’avons adopté notre plan qu’après mûr examen. Je suis convaincu que, si le parlement le sanctionne, l’industrie et le commerce du pays en retireront immédiatement de grands avantages, et qu’indirectement il développera le bien-être de toutes les classes de cette vaste communauté. »

Le succès fut grand au moment de l’exposition du plan, et non moins grand dans le débat ; les partis politiques ne renoncèrent point à leur opposition, ni la critique savante à ses droits : les uns s’élevèrent contre le maintien de l’income-tax, les autres réclamèrent une application plus étendue et plus rapide des principes de liberté commerciale ; les journaux, en insérant la longue liste des quatre cent trente articles affranchis de tous droits, s’amusèrent à en faire ressortir les bizarres inconséquences ou les frivoles concessions ; « notre pain est taxé, mais l’arsenic entre librement ; si nous ne pouvons pas nous nourrir, nous pouvons du moins nous empoisonner à bon marché… Les os sont exempts de droits, mais la viande en reste frappée ; les animaux étrangers peuvent nous fournir leur peau, leur poil, leurs cornes, leur queue, tout, excepté leur chair… Les plumes, la laine et l’édredon pour nos lits ont obtenu la faveur du premier ministre ; mais les troupeaux de moutons restent sous la protection du duc de Richmond. » La distinction maintenue par sir Robert Peel entre les sucres produits par le travail libre et les sucres provenant du travail esclave amena une longue et vive discussion, qui valut à M. Macaulay l’un de ses plus brillans succès de logique, d’éloquence et d’ironie. Le silence absolu qu’avait gardé sir Robert Peel sur la question des grains fut relevé et commenté avec ardeur ; mais à travers toutes ces attaques, l’opposition, toutes les oppositions étaient évidemment timides et embarrassées. Peel avait l’ascendant personnel et la faveur publique ; parmi ses adversaires mêmes, la plupart étaient au fond de son avis, ou n’osaient pas être d’un avis absolument contraire, et en dépit de la mauvaise humeur et de la désorganisation intérieure de son parti, les diverses portions de son plan furent successivement adoptées à de fortes majorités, comme sous l’empire d’une pression extérieure librement acceptée ou tristement subie.

Tel était en effet le caractère de l’événement qui s’accomplissait en ce moment, et dont les chambres et le cabinet lui-même étaient bien plutôt les instrumens que les auteurs. Ce n’était point le redressement d’un vieil abus, ni l’extension d’un droit constitutionnel, ni la victoire d’un parti politique ; c’était l’empire d’une idée générale sur les pouvoirs publics, au nom de l’intérêt populaire ; c’était l’es-