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vérité, le 21 janvier suivant, dans la chambre des députés : « On appelle cela de l’entente cordiale, de la bonne intelligence, de l’amitié, de l’alliance. Il y a ici quelque chose de plus rare, de plus nouveau et de plus grand que tout cela. Il y a aujourd’hui, en France et en Angleterre, deux gouvernemens qui croient qu’il y a place dans le monde pour la prospérité et pour l’activité matérielle et morale des deux pays, deux gouvernemens qui croient qu’ils ne sont pas obligés de regretter, de déplorer, de craindre leurs progrès mutuels, qu’ils peuvent, en déployant librement leurs forces de toute nature, s’entr’aider au lieu de se nuire. Et les deux gouvernemens qui croient qu’ils peuvent cela croient aussi qu’ils doivent le faire, qu’ils le doivent à l’honneur comme au bien-être de leur pays, à la paix et à la civilisation du monde. Et ce qu’ils croient possible et de devoir pour eux, ces deux gouvernemens le font réellement ; ils mettent ces idées en pratique, ils se témoignent, en toute occasion, un respect mutuel des droits, un ménagement mutuel des intérêts, une confiance mutuelle dans les intentions et dans les paroles. Voilà ce qu’ils font, et voilà pourquoi les incidens les plus délicats, les plus graves, n’aboutissent pas entre eux à la rupture, ni même au refroidissement des relations des deux pays. »

J’avais plein droit de tenir ce langage, car lord Aberdeen et la reine d’Angleterre elle-même le tenaient comme moi et avant moi. Lord Aberdeen écrivait le 6 septembre 1844 à lord Cowley : « Ma conviction est que le sincère désir que ressentent les deux gouvernemens de cultiver la meilleure et la plus cordiale entente rend presque impossible que des incidens de cette nature, s’ils sont vus sans passion et traités dans un esprit de justice et de modération, puissent aboutir autrement qu’à une issue amicale et heureuse. » Et le 5 septembre, en venant clore, au nom de la reine, la session du parlement, le lord-chancelier avait dit : « Sa majesté s’est trouvée naguère engagée dans des discussions avec le gouvernement du roi des Français sur des événemens de nature à interrompre la bonne entente et les relations amicales entre ce pays et la France. Vous vous réjouirez d’apprendre que, grâce à l’esprit de justice et de modération qui a animé les deux gouvernemens, ce danger a été heureusement écarté. »

Sans émouvoir le public anglais aussi profondément que l’avait fait notre occupation de Taïti, notre guerre avec le Maroc, qui éclata à la même époque, vint aggraver les embarras de la politique inter nationale. L’Angleterre s’accoutumait lentement et péniblement à croire que notre établissement en Algérie fût un fait accompli et définitif ; mais, tout en le regardant comme précaire, elle en redoutait fort l’extension, surtout vers l’ouest, aux dépens de l’empire marocain, en face de Gibraltar. Les vanteries frivoles provoquent les terreurs