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de médecin, pour bien étudier le malade à loisir, sans le brusquer, avec les plus grands ménagemens. Le calme de Maxime surprit d’abord les docteurs, et peu à peu ils s’enhardirent à l’interroger vivement. Lui, Maxime, les écoutait à peine, et les déroutait à chaque instant par l’insouciance et le décousu de ses réponses ; on le pressait de questions sur lui, sur Olivia, et les plus indiscrètes ne le blessaient en rien, éveillaient à peine son attention. De ce côté, rien ne pouvait plus l’atteindre. Son esprit n’était plus à Saint-Alban.

Depuis longtemps toute colère s’était éteinte en Maxime. D’Olivia, il n’attendait plus rien, il ne désirait rien, et dans ce délaissement il donnait toute son âme à l’Italie. Par ses misères présentes, il se sentait uni plus étroitement encore à cette noble race, si grande dans sa détresse, et quand le découragement le gagnait, tout à coup les vers sibyllins de Dante lui revenaient en mémoire : il répondait à cet appel héroïque en élevant plus haut son âme, en s’associant plus douloureusement encore à toutes les souffrances de l’Italie ; il portait la croix de la patrie.

Ces sentimens rajeunis, animés, c’était toute sa vie ; il les trahit un jour devant les docteurs, qui le pressaient de questions, et, se laissant aller à la plus noble exaltation, il leur parla passionnément de l’Italie et de cette espérance qu’il gardait toujours de verser son sang sur les champs de bataille de la patrie. — Ah ! voilà sa folie, dirent-ils en hochant la tête. — C’est un mystique, dit le plus ancien des docteurs. — Folie mystique, répéta le plus jeune. Et ils s’éloignèrent en grande tranquillité de conscience, enchantés d’avoir donné un nom à la maladie. Un mystique ! avec ce mot magique on retire un homme de la circulation ; l’étiquette une fois bien fixée au front du patient, tous s’écartent de lui, comme les passans à la vue de ces écriteaux de voirie : Le public n’entre pas ici.

Le docteur Girolet eut le courage de défendre Maxime : c’était un homme simple et dont l’esprit n’était pas troublé par les grandes théories ; il était ce qu’on appelle un guérisseur, il avait un vrai coup d’œil de médecin, une première intuition vive et sûre, mais voilà tout, et sa grande ignorance le mettait à l’abri de tous les systèmes. Il s’efforça de ramener ses collègues à la vérité, mais on lui tourna le des avec mépris, et il resta seul de son opinion à Saint-Alban. De son mieux, il cherchait tous les jours à réparer ses torts vis-à-vis de Maxime. Maxime se montra d’abord très insensible à tous ces témoignages affectueux ; à la longue pourtant il en fut touché. Une amitié vraie les rapprocha. Le docteur avait tout à fait gagné la confiance de Maxime, il eut le secret de toutes ses tristesses. — Je connais votre mal, lui dit-il un jour en essayant de l’égayer, laissez faire votre docteur, il n’est pas de mal d’amour dont on ne revienne ; je vous guérirai.