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plaisait parmi les hommes qui mettaient leur honneur à en secouer le joug. — Les Harris avaient pour cousin un certain William Mondy dont ils ne se vantaient guère, et qui s’était fait partout un triste renom d’intempérance. Autrefois, quand il habitait Londres, il avait coutume de passer ses nuits en orgies dans les tavernes, et tous les matins il rentrait chez lui cravaté de blanc, grave, décent, irréprochable. Pendant dix ans, il s’était ainsi grisé avec une tenue parfaite; mais depuis qu’il avait voyagé en France, ses mœurs étaient changées. Il fumait et s’enivrait outrageusement avec les gardes-chasse et les jardiniers, en plein jour, en public, sans respect humain : grand crime, irrémissible, inexpiable à Saint-Alban... A tort ou à raison, Maxime se persuada que ce William étouffait au milieu des mœurs anglaises, qu’il cherchait la liberté de son âme dans l’ivrognerie, toute autre issue lui étant fermée. Au lieu de le fuir comme par le passé, il le voyait quelquefois; sa conversation bizarre et poétique l’intéressait; il l’écoutait avec une certaine sympathie, et la reconnaissance que lui témoignait alors ce malheureux le touchait vivement. A Saint-Alban, on ne pouvait s’expliquer qu’avec sa grande sobriété italienne Maxime se fût choisi une telle société. Miss Osborne attendit une grande occasion pour témoigner en public ses mécontentemens. Un jour, dans un dîner d’apparat, devant vingt personnes, elle lui demanda brusquement comment il pouvait fréquenter un pareil homme, le déshonneur de sa famille. — Il vaut mieux que vous tous, s’écria Maxime. — Et il sortit pour monter à cheval. De huit jours, on ne le revit plus. Tous les convives se regardèrent avec stupeur. Miss Osborne bravée en face et de cette façon ! Après une pareille incartade, personne ne douta plus de la folie de Maxime.


Maxime pouvait désormais se regarder comme condamné à l’isolement sur cette terre anglaise où il avait cru trouver une seconde patrie. Une réprobation unanime planait sur lui; parens, amis, serviteurs, tous s’unissaient contre le mari d’Olivia dans les mêmes sentimens d’éloignement, de crainte vague et de pitié dédaigneuse; tous l’évitaient, tous se tenaient à l’écart de ce malade, dont on semblait redouter les violences. Miss Osborne alla même jusqu’à dire un jour de très bonne foi : — Je tremblerais de laisser Olivia seule avec lui. — Les choses en étaient venues au point que ces paroles ne surprirent personne.

Le docteur Girolet était au désespoir; il s’accusait de tout le mal, il se reprochait d’avoir donné naissance à cette opinion malheureuse qu’il ne pouvait plus déraciner. Sur sa demande, deux docteurs renommés furent mandés de Londres. On décida qu’ils passeraient quelques jours à Saint-Alban incognito, sans déclarer leur qualité