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pressantes et plus vives. A chaque instant, les oppositions de race éclataient, et comme il redevenait franchement italien, toutes ces dissemblances le frappaient plus fortement encore. Non qu’il y eût jamais entre eux rien de grave ni de difficile, mais le désaccord secret se trahissait dans les moindres choses; il fallait que le mal fût déjà bien ancien, bien profond, pour que ces misères prissent une telle importance. Un seul mot de froideur tombait sur son âme pleine de tristesses comme la goutte d’eau qui fait déborder la coupe.

A mesure que Maxime ressaisissait le sentiment italien, Olivia de son côté devenait plus anglaise; ils se retiraient en quelque sorte toutes les concessions qu’ils s’étaient faites. Le comte Alghiera reconnaissait avec effroi qu’il y avait quelque chose de changé entre eux, qu’ils n’étaient plus dans cette inaltérable harmonie d’autrefois. À ces premiers signes du déclin des choses, on tremble, on hésite, on voudrait douter encore, on cherche à tromper ce sens critique qui s’éveille; mais sous ces artifices la vérité cruelle fait son chemin. Maxime s’efforçait de se donner le change. Quoi qu’il fît, ce mal, qu’il n’osait pas sonder, se révéla soudainement dans toute son étendue, dans son aridité. A vrai dire, rien n’était détruit entre eux, car la chose essentielle manquait à l’origine. Entre eux, il n’y avait jamais eu union en esprit; c’était là tout le mal, il le comprit, il voulut le réparer; il s’efforçait de se placer sur ce vrai terrain, de créer d’elle à lui ce doux commerce des âmes, plus intime et plus réel. Elle l’écoutait avec condescendance, mais sans le seconder. Cette fraternité qu’il lui offrait, elle la refusait non par dédain, non par caprice, mais tout naturellement; elle n’en avait pas besoin, elle se suffisait à elle-même. Triste ou joyeux, il recevait toujours d’elle le même accueil. S’il parlait, elle l’écoutait avec plaisir; s’il se taisait, elle gardait le silence. Elle n’avait jamais rien à lui dire, elle ne cherchait jamais à lire dans ce cœur si troublé : c’était pour elle comme un livre scellé qu’elle ne songeait pas à ouvrir, et pour elle-même, n’ayant aucun besoin d’épanchement, d’intimité plus profonde, elle ne pouvait pas soupçonner que l’isolement fût une souffrance, une souffrance qu’elle imposait cruellement à celui dont elle était aimée.

Le jour où il eut le courage de tout lui dire, elle le regarda avec surprise; elle l’écoutait sans le comprendre, et bientôt elle repoussa ces confidences comme des reproches, sans irritation, avec l’indulgence qu’on doit aux bizarreries d’un esprit malade, ingénieux à se chercher des souffrances. Alors la vérité apparut complète à Maxime. En moins de quatre ans, la jeune fille de la guerre d’Italie s’était transformée en une Anglaise doctrinaire, froide et méthodique, sentencieuse et sermonneuse, satisfaite d’elle-même, très attachée à son bien-être, à son luxe, à ses opinions de lecture, à sa tranquillité