Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’engagèrent dans un ardent travail pour faire échouer, à Taïti même, ce protectorat français dont elles n’avaient eu ni le droit ni le pouvoir d’empêcher l’établissement. Jusqu’à quel point leurs directeurs et leurs patrons à Londres entrèrent eux-mêmes dans ce dessein, je l’ignore et ne m’inquiète point de le savoir ; la passion qui animait ces sociétés n’avait nul besoin, pour agir, des ordres préalables ou du concours avoué de leurs chefs, et ne les attendait pas ; leurs agens et leurs amis, missionnaires attachés à leur service ou marins dévoués à leur cause, résistaient naturellement, spontanément, au protectorat français, et s’unissaient dans leurs efforts, publics ou secrets, isolés ou concertés, pour l’entraver ou le détruire. À Taïti, plusieurs des missionnaires anglais établis dans l’île, ou plus modérés, ou plus exclusivement préoccupés de leur tâche religieuse, et plus exempts de passion humaine, se tinrent en dehors de ces menées, déclarant hautement que, « comme ministres de l’Évangile de paix, c’était, à leurs yeux, leur impérieux devoir d’exhorter la population de ces îles au maintien de la paix et à la soumission envers le pouvoir de fait, soumission conforme à l’intérêt des Taïtiens, et surtout commandée par la loi de Dieu, qu’ils étaient, eux, missionnaires chrétiens, spécialement chargés d’inculquer. » Mais cette pieuse résignation de quelques hommes n’arrêtait point la lutte engagée contre l’établissement français. M. Pritchard, à la fois agent des missions et consul d’Angleterre à Taïti, était à la tête de cette lutte. Je ne connais point M. Pritchard, et ne veux commettre, sur lui et son caractère personnel, ni erreur ni injustice : ce qui est certain, c’est qu’appelé à rechercher avec quelque soin ce qu’il avait été et ce qu’il avait fait auparavant, je l’ai trouvé, dès 1836, résidant à Taïti, actif, remuant, influent, passionnément hostile contre toute intervention, toute action, contre la moindre apparition française et catholique dans l’île. Il en était absent en septembre 1842, quand l’amiral Dupetit-Thouars établit le protectorat ; il y revint le 26 février 1843, et dès qu’il y fut de retour, la fermentation anti-française, jusque-là faible et obscure, devint vive et continue. Quand les incidens de cette lutte décidèrent l’amiral Dupetit-Thouars, le 5 novembre suivant, à prendre dans Taïti la souveraineté au lieu du protectorat, M. Pritchard amena aussitôt son pavillon, et déclara qu’il cessait ses fonctions de consul, n’étant pas accrédité, à ce titre, par le gouvernement anglais, auprès d’une colonie française ; mais en abdiquant son caractère public, il n’en continua pas moins ses efforts pour susciter dans l’île, contre les autorités françaises, la résistance ou même la sédition, et au bout de quatre mois, le 3 mars 1844, en l’absence du gouverneur, appelé sur un point éloigné par un mouvement d’insurrection, le capitaine d’Aubigny, commandant provisoire