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l’atmosphère de trouble et d’illusions d’où il se croyait à jamais sorti. Autour de Maxime, rien n’était changé : ses hôtes et ses parens lui témoignaient toujours la même bienveillance, et lui déjà il se sentait étranger au milieu d’eux. Lui seul était changé, et, voyant Olivia si heureuse au milieu des siens, il craignait de trahir ses grands ennuis devant elle. Il se taisait, lui cachait ses souffrances avec une sorte de pudeur, et, sans s’en douter, il prenait ainsi l’habitude d’une vie en dehors d’elle, taciturne, sans expansion. Il lui dérobait quelque chose de lui-même, le plus pur peut-être, et le malheur, c’est qu’il se croyait dévoué et bon en retenant ainsi ces confidences, qu’Olivia ne lui demandait pas, mais qu’il lui devait.

Si désintéressés qu’en fussent les motifs, cet isolement était mortel. C’est un grand mal quand il y a dans l’amitié un seul point réservé, quelque chose de retiré de la mise en commun absolue, fraternelle. Dès qu’on laisse prendre à l’âme ce mauvais pli du silence, il se fait en elle un resserrement intérieur tous les jours plus étroit, plus avide; rien ne rayonne plus au dehors, tout s’endurcit et se dessèche à la longue dans une âme ainsi possédée tout entière par ce diable muet dont parlent les Slaves.

Maxime se laissait aller avec un certain dilettantisme de poète à savourer les amertumes d’une mélancolie si discrète, et, trompé par la délicatesse de ces sentimens, qui n’avaient rien de vulgaire, il n’en soupçonnait pas le subtil égoïsme. Il se faisait tous les jours une vie plus solitaire, et pendant des journées entières il errait loin des siens, dans les bois, au bord des rivières. Un matin de novembre, il s’en allait ainsi dans la campagne, au hasard, au milieu des brouillards qui s’étendaient sur la vallée, découragé de tout, malade de son mal inconnu, l’âme plus triste encore que ce paysage noyé dans les brumes. Tout à coup, dans le silence de cette route déserte, il entendit une voix qui le fît tressaillir. La voix montait sous le feuillage, claire et vibrante; des coups de marteau sonores se mêlaient à ses vifs éclats. Maxime reconnut un air vénitien qu’il avait entendu bien souvent dans les marches militaires, sur les bords du Mincio, et ranimé soudainement, comme si le vent de l’Italie eût soufflé sur ces rivages, il répondit à pleine voix à ce refrain, et courut tout joyeux jusqu’à la route. Le chanteur était au bord du fossé, marteau en main, battant et radoubant des vaisselles de cuivre. C’était un chaudronnier de la vallée d’Aoste; il avait été soldat dans l’armée italienne, et jusqu’à Novare il avait guerroyé noblement. Après ce grand désastre, il s’était embarqué à Gênes, et, se souvenant du métier de son père, il avait repris son marteau et ses fourneaux d’étameur, cherchant la liberté sur les grands chemins, en bon compagnon qui fait son tour du monde. Il raconta son histoire à Maxime;