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efforts d’esprit se trahissaient par des mines sombres, des regards farouches. Pour en finir, sir John lui glissa quelques guinées dans la main. Le brigadier prit les pièces d’or sans scrupule; mais une si grande générosité éveilla sa méfiance. Miss Sarah n’imagina-t-elle pas alors de jeter un manteau sur les épaules de Maxime et de le coiffer d’un grand chapeau à larges bords ! A la vue de ce changement de costume, le brigadier devint plus inquiet. Il se mit à compter les voyageurs, et désignant Maxime : — Et celui-là? dit-il. Je ne vois pas son nom sur les passeports.

— C’est mon fils, répondit sir John.

— Lui?... Est-ce bien vrai?

— Oui, dit sir John rouge de colère.

— Oh! oh ! oh ! votre fils, vous ne vous ressemblez guère, répondit obstinément le douanier. — Il se mit à réfléchir que, vu la gravité de l’affaire, il fallait en référer au capitaine des douanes. On alla chercher le capitaine au fond du village; l’officier venait de se mettre à table, et, sans jeter les yeux sur le passeport, il répondit qu’on eût à le laisser déjeuner en paix, qu’on attendît son retour au poste, et qu’on y retînt les voyageurs une heure ou deux. Les douaniers entouraient la voiture. Ils étaient une quinzaine. Sir John se promenait sur la route avec Maxime en étudiant le terrain. — Tout ceci tourne mal, lui dit-il; si dans cinq minutes nous ne sommes pas hors de ce village, nous sommes perdus. Mon plan est arrêté; tenez-vous prêt; faites ce que je ferai.

Il revint sur ses pas, et comme les chevaux étaient au soleil, il prit ce prétexte pour faire avancer la voiture jusqu’au tournant de la rue. — Décidément ces papiers ne valent rien, lui dit le brigadier. Sir John prit tranquillement ses passeports et les enferma dans son portefeuille. — Ah! ah! très bien, on va vous en donner d’autres. — Il appela son cocher et lui dit en anglais : Prends tes pistolets dans le caisson, cache-les sous ta capote, dis au valet de pied d’en faire autant, saute sur le cheval de droite; au premier signal, ventre à terre, et le premier qui t’arrête, brûle-lui la cervelle à bout portant.

— Et ces papiers? reprit le brigadier.

— Mon fils les cherche, dit sir John, qui voulait donner à Maxime le temps de s’armer et de faire rentrer les dames en voiture.

Le brigadier, qui jouait à l’officier, voulait montrer ses talens militaires : il fit manœuvrer ses soldats autour de la voiture en rompant par sections; il aligna sept de ses hommes au tournant de la rue et les sept autres en arrière de la voiture, puis, déposant son fusil, il vint se poster seul devant les chevaux, le sabre sous le bras. Sir John s’assit à côté du cocher, et donna l’ordre au valet de pied de sauter en postillon sur le cheval de gauche. Maxime prit sa place.