Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique extérieure, il passait sa vie sur les grands chemins. Il était veuf depuis deux ans; sa fille Olivia le suivait dans tous ses voyages, en compagnie d’une respectable gouvernante écossaise, miss Sarah Hutchinson. Un Français du Rouergue, le docteur Girolet, voyageait avec eux comme ami et comme médecin.

A vingt lieues à la ronde, toutes les habitations de plaisance étaient désertes, et les riches citadins n’étaient pas d’humeur à se loger en rase campagne, quand leurs fermiers venaient en foule se réfugier dans les villes. Il fallait être sir John pour venir en villégiature dans une contrée si menacée. Lui trouvait le lieu fort à sa convenance; il l’avait choisi tout exprès pour se rapprocher du théâtre de la guerre, et, dans son impatience, il lui arrivait souvent de monter à cheval et de battre le pays à l’aventure, pendant des journées entières, à des distances très éloignées.

Le soleil déclinait à l’horizon lorsque Maxime sonna à la grille du parc. La blonde miss Olivia et sa gouvernante se promenaient par ce doux temps dans une contre-allée, à quelques pas de la porte. Maxime ne s’attendait pas à cette rencontre, car les paysans ne lui avaient parlé que de sir John. A la vue de ces belles dames parées, Maxime songea pour la première fois de la journée au grand désordre de sa toilette. Tête nue, les vêtemens en lambeaux, la figure et les mains souillées de poudre, il était tout honteux d’être surpris par ces Anglaises en si triste équipage; mais la dédaigneuse miss Olivia s’était à peine aperçue de la présence de Maxime. Elle l’avait vu sans le regarder, sans lui prêter plus d’attention qu’elle n’aurait fait pour un mendiant rôdant autour des grilles. Quant à la gouvernante, miss Sarah, elle était toute ravie de l’allure élégante et de l’air martial du jeune inconnu. Avec son uniforme déchiré, son bras en écharpe, son épaulette fendue d’un coup de sabre, Maxime était d’un débraillé fort pittoresque. — Oh! le charmant jeune homme! dit-elle en rabattant vivement son grand voile marron. Qu’il est intéressant! Sans doute il vient nous demander asile. Allons chercher votre père. — En s’éloignant, elle tournait la tête de côté pour bien voir Maxime sans être vue de lui.

La grille s’ouvrit; Maxime écrivit deux lignes sur une carte de visite qu’il envoya à sir John. Sir John, déjà averti par miss Sarah, arriva en courant. — Soyez le bienvenu, criait-il du fond de l’allée. Evviva l’Italia ! — Il avait à la main une grande bouteille de madère dont il fallut boire tout d’abord. — Vous devez être mort de faim, dit-il joyeusement; avant tout discours, venez dîner. Par malheur, je sors de table, mais au dessert je vous tiendrai compagnie. On ne cause bien que le verre à la main.

On se mit à table, et Maxime raconta ses aventures de la journée.