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sont des fantaisies où la réalité ne se reconnaît pas; le théâtre comique de Kotzebue est le domaine de la platitude et de l’ennui. Entre Kotzebue et Tieck, où est le Molière de l’Allemagne? On pouvait expliquer ainsi l’absence des poètes comiques alors que les esprits d’élite, dédaignant le monde réel, abandonnaient l’observation des choses humaines aux écrivains de troisième ordre; aujourd’hui que les talens les plus élevés sont revenus au sentiment de la vie pratique, la comédie, à ce qu’il semble, doit s’ouvrir une carrière nouvelle. Malheureusement on ne renonce pas si vite à des habitudes invétérées. Voici un poète fort distingué, un maître dans l’art d’écrire, M. Emmanuel Geibel, qui vient de faire jouer à Munich une comédie dont il a été beaucoup parlé. C’est une œuvre bizarre où la plaisanterie est forcée, où l’observation est nulle. Figurez-vous un homme à qui ses amis ont persuadé qu’il n’est plus la personne qu’il croit être, qu’il a changé de nature, et que Jean est devenu Paul. Les doutes, les angoisses de ce pauvre homme ainsi dépouillé de son moi, est-ce bien là une situation comique, et de telles billevesées ont-elles droit à la forme élégante dont le poète les a revêtues? J’aime mieux les tableaux de M. Bauernfeld, écrivain spirituel et sans prétention, qui, depuis longues années déjà, a le privilège de charmer la société viennoise. Si M. Bauernfeld osait davantage, il donnerait peut-être à l’Allemagne des comédies qui mériteraient de rester. Je lui reproche d’être trop exclusivement l’amuseur des Viennois. Vienne se transforme de jour en jour, qu’il se transforme aussi; qu’il déploie sa verve, sa bonne humeur, son esprit d’observation en des œuvres plus sérieuses; l’Allemagne, avec ses conditions sociales renouvelées par les révolutions, offre de piquans sujets à une intelligence aussi avisée que la sienne. Ses deux récentes comédies, les Virtuoses et l’Oiseau de passage, sont des peintures trop simples pour intéresser le grand public. Le poète comique, dans cette société en travail, ne doit pas craindre de se mesurer avec les choses de son époque; il faut qu’il enseigne en amusant. J’adresserai surtout cette exhortation à M. Gustave Freytag, l’auteur du roman dont je parlais tout à l’heure. Avant de publier son Doit et Avoir, M. Freytag avait donné à Leipzig une comédie de mœurs intitulée les Journalistes. C’est le plus heureux essai de comédie qu’ait produit le théâtre allemand contemporain. Des caractères bien dessinés, un dialogue vif et vrai, une gaieté de bon aloi, voilà ce qui recommande l’auteur des Journalistes; seulement la fable manque de concentration et de nerf. M. Gustave Freytag a montré dans son roman qu’il ne craignait pas aujourd’hui de s’attaquer aux questions les plus hautes; le jour où il reparaîtra sur la scène avec ses qualités agrandies, qui sait si nous n’aurons pas à saluer en lui le poète comique de la génération nouvelle?