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Prusse, il n’est injuste pour aucun des hommes qui représentent l’esprit de l’Autriche ou de la Bavière. Son idéal, c’est la moralité allemande. On a pu lui reprocher une sévérité un peu altière : qu’importe? Cette sévérité n’a rien de décourageant; tous les vrais écrivains se sont réjouis de voir déblayer si vigoureusement le terrain des lettres allemandes, et M. Julien Schmidt est certainement un des guides de la génération nouvelle que j’essaie de mettre en lumière.


III.

Le roman, la poésie lyrique et le théâtre viennent de révéler aussi, comme la philosophie et l’histoire, le travail d’idées qui s’opère en Allemagne. Tous les écrivains assurément n’ont pas manifesté au même degré cette préoccupation virile de la réalité, mais les œuvres qui ont été accueillies avec le plus de faveur attestent la transformation du goût public. Le mysticisme révolutionnaire est chassé des lettres allemandes, comme l’a été il y a vingt-cinq ans le mysticisme romantique. En même temps, l’Allemagne a triomphé des séductions qu’avait un moment exercées sur elle une certaine littérature parisienne, et dans l’intérêt même de la France nous félicitons nos voisins de ce bon mouvement. Ces tableaux d’un monde suspect étaient devenus particulièrement odieux au-delà du Rhin. Une société qui conserve encore dans sa vie intime tant d’élémens de moralité et de poésie pouvait-elle ainsi s’oublier elle-même? C’est l’Allemagne étudiée avec une attention sympathique et sévère qui a fourni les meilleures inspirations du roman.

Le plus grand succès qu’un ouvrage d’imagination ait obtenu depuis longtemps, c’est un romancier qui vient de le remporter, et ce romancier s’est proposé de célébrer la mâle efficacité du travail. M. Julien Schmidt avait dit un jour : « Le roman doit chercher le peuple allemand là où on le trouve avec les attitudes qui le distinguent, c’est-à-dire à son œuvre de chaque jour. » Cette pensée a inspiré M. Freytag, et il l’inscrit avec reconnaissance à la première page de son livre. La bourgeoisie allemande, avec son activité, sa persévérance, sa loyauté courageuse, voilà le héros de M. Freytag. Son roman intitulé Doit et Avoir nous introduit dans un monde de commerçans, et jamais, je crois, la poésie du labeur honnête n’a été plus franchement exprimée. Il fallait quelque courage pour se proposer un tel sujet dans un pays où d’un côté le raffinement de l’esprit, de l’autre l’exaltation révolutionnaire, ont fait longtemps dédaigner, comme indigne de l’art, la peinture des occupations bourgeoises. S’intéresser à un aventurier, à un vagabond, à un mendiant que réclame le bagne, rien de mieux; mais à un bourgeois qui travaille! Il y a quelques années encore, au milieu des héros blasés