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II.

Un des plus précieux témoignages des progrès de l’esprit allemand, c’est le changement qui s’accomplit sous nos yeux dans la littérature historique au-delà du Rhin. L’Allemagne a toujours eu des érudits du premier ordre, elle n’avait presque jamais produit des historiens dignes de ce nom. Sans sortir du XIXe siècle, quels étaient les représentans de l’histoire avant M. Schlosser et M. Léopold Ranke? D’estimables libéraux, animés des intentions les plus droites, mais sans pénétration et *sans art. M. de Rotteck, on l’a dit avec raison, est le type de cette école ou plutôt de cette tradition vulgairement honnête à qui appartenait, pendant les trente premières années du siècle, tout le domaine des sciences historiques. M. Schlosser et M. Ranke, avec des mérites et des défauts absolument opposés, ont ouvert des routes nouvelles, et préparé, chacun à sa manière, la généreuse et intelligente ardeur que l’Allemagne porte aujourd’hui dans les études historiques. On sait quelle est l’inspiration de M. Schlosser; il recherche ardemment la vérité, et quand il croit l’avoir découverte, aucune considération politique, aucune raison de tactique ou de convenance ne saurait en atténuer l’expression. Il proteste par ses peintures contre cette philosophie de l’histoire qui absout toutes les actions humaines; le dogme de la responsabilité est inscrit à chaque page de ses livres. Rien autrement érudit que l’école libérale dont il était issu, plus intègre et plus moral que les constructeurs d’histoires a priori, il a rendu à la science, par l’âpreté de sa verve, un intérêt et une vie qu’elle avait perdus depuis longtemps. On ne saurait nier toutefois que cette verve belliqueuse de M. Schlosser n’altérât souvent la gravité de ses tableaux. L’histoire n’apparaissait plus, comme disent les Allemands, dans sa réalité objective; elle devenait une occasion de polémique, elle se transformait en un instrument de guerre aux mains d’un libéralisme grondeur. Restituer à l’histoire son calme, sa sérénité, son intelligence des époques et des transformations de l’esprit humain, telle fut l’ambition et souvent l’honneur de M. Léopold Ranke. Malheureusement M. Ranke a ses défauts, et ces défauts, assez dissimulés d’abord, sont devenus surtout visibles dans ses derniers écrits. Ces bienséances de l’histoire, qui semblaient une trahison à M. Schlosser, ont fini par affaiblir chez M. Ranke le sentiment de la liberté morale. Il est fin, il est pénétrant, c’est un esprit diplomatique; pourquoi faut-il qu’à force de vouloir comprendre et expliquer les péripéties du drame, il semble excuser tous les acteurs ? L’impartialité de l’historien ne doit j)as dégénérer en une banale indifférence. On s’est étonné avec raison de voir l’historien des papes fournir des articles à la Gazette de