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naturalisme. Les partisans de M. Vogt et de M. Moleschott ne forment qu’une minorité infime; on peut dire que l’Allemagne les a entendus avec dégoût. Le mysticisme, avec M. Schopenhauer, était arrivé aux conséquences dernières de son principe; le matérialisme de M. Moleschott, dépassant encore le délire des jeunes hégéliens, vient d’aboutir aussi à l’extrême limite du non-sens. Cette double épreuve a déjà profité à la conscience publique; il est fâcheux assurément qu’un naturaliste de l’école de Goettingue, M. Rodolphe Wagner, emporté en sens contraire par son indignation, ait appelé au secours de la science les principes de l’orthodoxie luthérienne. Ce n’est pas avec la Bible qu’il faut réfuter la chimie et la physiologie de nos jours; les argumens de M. Wagner, en provoquant les sarcasmes de M. Vogt, ont failli compromettre la meilleure des causes. Qu’importe? des adversaires mieux armés sont entrés dans la lice; je signalerai au premier rang un hégélien, M. Schaller, qui, dans un livre intitulé le Corps et l’Ame, a donné la réfutation la plus solide des erreurs de M. Moleschott. Le livre de M. Schaller n’est pas un pamphlet; c’est une œuvre sérieusement méditée et qui a rendu un vrai service à la science.

C’est surtout l’école de MM. Hermann, Fichte, Ulrici, Wirth, Weisse, Fortlage, Maurice Carrière, qui a représenté dans ce débat les inspirations présentes de l’Allemagne. Je parle d’une école, c’est trop dire peut-être ; les hommes que je viens de nommer forment plutôt un groupe d’esprits indépendans qui s’avancent chacun dans sa voie, mais qui, réunis par l’amour de la raison et ralliés aux principes généraux du spiritualisme, tiennent aujourd’hui avec honneur le drapeau de la philosophie. Un symptôme qui me frappe chez eux, c’est un heureux mélange des croyances idéales et des inspirations pratiques. Les matérialistes disent à l’Allemagne : Le spiritualisme est une chimère, la vieille philosophie ressemble au chien de la fable qui lâche la proie pour l’ombre; ne quittons plus le domaine des sens, si nous voulons ne plus être dupes. Les mystiques lui disent à leur tour : Voyez où vous conduit l’étude de la réalité; ce monde est mauvais, sortons-en au plus vite par le sacrifice de notre volonté propre et rentrons dans le repos de l’absolu. Au milieu des contradictions que les luttes des systèmes ont accumulées dans les intelligences, le groupe de penseurs dirigé par le digne fils de Fichte s’attache à maintenir les vérités éternelles et les principes du sens commun. Il y a des tendances opposées, des forces contradictoires dans la raison humaine; qu’importe que ces antinomies n’aient pas été conciliées par la science? Le sage est celui qui reconnaît les bornes de la pensée humaine et qui ne rougit pas d’allier les contraires. « La première règle de notre logique, dit excellemment Bossuet, c’est qu’il ne faut jamais abandonner les vérités une fois