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principes tellement liés, tellement indissolubles, que tous les philosophes d’une même série apparaissent fatalement l’un après l’autre pour mener à fin l’œuvre commencée. Une fois la doctrine de Kant proposée aux esprits comme une douloureuse énigme, il fallait de toute nécessité que Fichte prît la parole, après Fichte Schelling, après Schelling Hegel. La philosophie allemande depuis le penseur de Kœnigsberg n’est qu’un seul et même système qui se déroule logiquement comme une suite de syllogismes, et qui, trop vaste pour un seul esprit, traverse ses différentes phases dans quatre cerveaux privilégiés. Hegel avait déjà établi cette méthode d’exposition dans son Histoire de la Philosophie; mais, avec une modestie que M. Erdmann ne craint pas d’appeler héroïque, Hegel s’était arrêté à Schelling, comme si Schelling contenait le dernier terme de cette progression majestueuse. M. Erdmann rend à Hegel ce qui lui est dû. Après avoir décerné à Kant ce titre de magnus inceptor donné à Occam par les nominalistes du XIVe siècle, il montre l’audacieuse entreprise de Kant aboutissant au triomphe de Hegel. Kant a posé à l’esprit humain des questions effrayantes et qui semblent insolubles; Hegel a résolu ce problème et conquis à la science une sérénité glorieuse. L’homme, dans le système de Kant, paraît condamné à un scepticisme sans remède; il sait que son esprit est un moule, que ce moule donne sa forme aux objets, que le monde par conséquent, le monde moral comme le monde matériel, se révèle à nous, non pas dans sa réalité vraie, mais tel que l’esprit le façonne et l’arrange; il sait donc qu’il ne peut rien savoir, et que ses croyances les plus certaines, ses principes les mieux assurés, ne sont que des créations de sa propre pensée, c’est-à-dire des apparences et des fantômes. Avec Hegel, ce scepticisme est renversé; les contradictions de l’homme et du monde, du subjectif et de l’objectif, du fini et de l’infini, s’évanouissent dans une théorie supérieure; l’esprit a reconquis ses droits. Comment cette révolution s’est-elle faite? C’est le sujet du livre de M. Erdmann. La partie la plus intéressante de l’ouvrage, ce n’est pas, je le répète, cet enchaînement progressif de Kant à Fichte, de Fichte à Schelling, de Schelling à Hegel, déjà proclamé par tous les hégéliens; ce sont les détails historiques qui se rattachent au sujet. A côté des figures principales, M. Erdmann n’a laissé dans l’ombre aucun des penseurs qui ont pris part, de près ou de loin, à ce travail des idées. Non-seulement les disciples de Kant, de Fichte, de Schelling, sont étudiés avec pénétration, mais toute l’armée des opposans est aussi rangée en bataille. Hamann, Jacobi, Herbart, Schopenhauer, ces deux derniers surtout dont les noms étaient à peine connus il y a quinze ans, reprennent dans l’histoire la place qui leur appartient. À ce point de vue, l’ouvrage de M. Erdmann, si