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strophes viriles éclatent, le roman et le théâtre s’attaquent à la réalité, et une littérature populaire, semblable au chœur antique, adresse aux victimes du destin de bienfaisantes paroles. N’est-ce pas ce qu’on a vu à tous les momens de l’histoire depuis les Niebelungen jusqu’à Uhland ? Le même phénomène se reproduira, et nous surprendrons dans les travaux des poètes les mouvemens les plus cachés de la conscience nationale.

Donnons-nous donc le spectacle de cette grande nation considérée dans l’unité de son intelligence. Un poète a écrit une chanson célèbre dont toutes les strophes commencent par ces mots : Quelle est la patrie de l’Allemand ? et prouvant qu’au-dessus des Prussiens, des Autrichiens, des Bavarois, des Saxons, des Badois ou des Hanovriens, il y a un même peuple animé d’un même esprit, il conclut que la patrie de l’Allemand, c’est le pays où tout le monde aime et déteste les mêmes choses dans la langue de Schiller et de Goethe. C’est cette Allemagne de Maurice Arndt dont j’interroge aujourd’hui les haines et les amours. Je m’occupe de la Germanie invisible, qui ne connaît heureusement ni les divisions ni les rivalités de la Germanie à trente-huit têtes dont les représentans ont leur siège à Francfort. L’unité spirituelle et morale a été constituée par les maîtres de l’art que l’Allemagne appelle ses classiques ; je resterai fidèle, ainsi que l’Allemagne, à cette tradition idéale, et toutefois, puisqu’il faut aussi tenir compte de la réalité, je serai bien obligé de me demander, en finissant, quelle est la part de l’est et de l’ouest, du midi et du nord dans le patrimoine commun. En face de cette carte politique que je traçais l’autre jour, je dresserai rapidement la carte intellectuelle du pays. Je dirai dans quelle contrée, dans quelle ville, et sous quelles influences salutaires ou fatales la philosophie, la poésie et l’histoire ont produit le plus de résultats heureux. Le bénéfice de la destinée qui est faite à l’Allemagne, c’est le partage fécond de la richesse publique, c’est l’active circulation de la vie intellectuelle d’un bout à l’autre du territoire ; ne permettons pas à l’émulation de s’éteindre, mettons sous les yeux de chaque pays la place qu’il occupe dans ce pacifique concours, rappelons enfin à l’Allemagne tout entière ce que le genre humain attend encore de son inspiration et de son génie.

I.

Le premier symptôme qui se présente, lorsqu’on parcourt la littérature philosophique de l’Allemagne pendant ces dernières années, c’est l’abandon presque général des études purement spéculatives. L’Allemagne semble fatiguée de la philosophie ; les hommes qui