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ils répètent encore le refrain proscrit de : Vivent les gueux ! Enfin, à l’approche de Noircarmes, qui s’avance avec une armée, les magistrats le supplient de quitter la ville. Forcé de céder à leurs instances, il s’embarque avec ses derniers compagnons et va chercher asile au pays de Clèves. Dans sa retraite, à Emden, il apprend l’arrivée du duc d’Albe et l’arrestation des principaux chefs de la noblesse. Aussitôt il oublie la défection récente du comte d’Egmont et du comte de Hornes pour ne songer qu’à leurs services passés, et du fond de son exil il adresse aux habitans des Pays-Bas les exhortations les plus éloquentes. Il signe avec quelques autres fugitifs le second compromis, s’engage à sacrifier tout ce qui lui reste pour combattre « le More renégat, » et conjure tous les gens de bien de s’unir à lui pour rétablir, avec l’aide de Dieu, la liberté aux Pays-Bas. « Mieux vaut, dit-il, mourir en braves gens au lit d’honneur, pour la plus juste des causes, que de vivre dans l’esclavage de gens qui ne sont eux-mêmes que des esclaves ! »

La fortune ne lui donna point cette joie de tomber, les armes à la main, dans les combats de l’indépendance. Il se préparait à de nouveaux hasards, lorsqu’une maladie soudaine le surprit au château de Varenburch. Il mourut le 15 février 1568. Il avait à peine trente-sept ans, et méritait de vivre encore pour prendre part à la délivrance de son pays. Que son nom du moins reste associé aux noms des fondateurs de la république ! La calomnie n’a pas épargné à sa mémoire les accusations qui ont poursuivi dans tous les temps les révolutionnaires et les tribuns ; mais, en dépit des admirateurs exclusifs de la maison de Nassau, Guillaume le Taciturne ne fera point oublier Henri de Bréderode. M. Juste lui-même, tout en choisissant pour héros le prince d’Orange, a rendu au premier des gueux ses titres de gloire : son témoignage prévaudra sans doute contre les insinuations de M. Groen.

Que l’écrivain belge poursuive son œuvre : terminée à la prise de la Briel, l’histoire de la révolution serait incomplète, et manquerait, pour ainsi dire, de moralité. Cette moralité, ce dénoûment nécessaire, c’est l’émancipation définitive des Provinces-Unies et l’établissement régulier de la république. Les documens ne manqueront pas à M. Juste pour raconter les victorieuses entreprises de la fédération batave ; mais il est à souhaiter que la préoccupation d’une exactitude minutieuse ne lui fasse pas négliger le soin de la composition et du style. Son œuvre est jusqu’ici moins une histoire qu’une chronique. Qu’il relise M. Quinet, M. Mignet, Marnix de Sainte-Aldegonde et les beaux chapitres d’Antonio Perez, pour dérober à ces modèles quelques-unes de leurs qualités françaises. Il a besoin encore d’étudier nos maîtres[1].


V. Fillias.
  1. Et peut-être aussi notre grammaire. Dans le but de n’est pas une locution correcte ; M. Juste a le tort de l’employer comme une élégance et de la répéter à satiété.
V. de Mars.