Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque province discutèrent les intérêts de la confédération. Tous étaient d’accord pour demander la convocation des états-généraux. Les plus résolus, et parmi eux Bréderode, étaient d’avis d’exiger la liberté de conscience pleine et entière, La régente, effrayée, envoya auprès des gueux le comte d’Egmont et le prince d’Orange, qui engagèrent leurs amis à ne pas excéder la première requête. Bréderode n’approuva point l’accord conclu le 23 août. Il ne se fiait guère aux lettres d’assurance, et préférait aux promesses de la régente l’appui des protestans d’Allemagne. « Je vois, écrivait-il à Louis de Nassau, que si les affaires demeurent en tels termes, chacun avisera pour se mettre hors du danger de la corde. Les confédérés vont déjà disant qu’on les mène à la boucherie. » « Voyez-vous ce beau seigneur de Bréderode ? avait dit publiquement un moine. Devant qu’il soit huit jours, il sera pendu par son col et étranglé. » Il était temps de se mettre en garde. Le 25 septembre, il commença, sur sa terre de Vianen, à lever des troupes « pour la sûreté de sa ville et de sa personne. »

Ici commence l’épreuve suprême, la crise héroïque de sa vie. En 1566, le courage était facile devant un danger trop lointain pour être aperçu des esprits fougueux et imprévoyans. La régente était en proie aux angoisses de la colère impuissante : elle se sentait désarmée, elle avait peur. En ce temps-là, l’aristocratie, la petite noblesse, la bourgeoisie, le peuple, les protestans et les catholiques, conspiraient ensemble contre la tyrannie de l’inquisition. Lorsque Bréderode se mit à la tête des gueux, il était soutenu, porté, poussé en avant comme par la pression irrésistible de la mer montante. Un an après, au reflux, tout avait changé de face. Les gueux se cachaient dans les bois. Les villes, domptées par la force ou trompées par la trahison, ouvraient leurs portes aux garnisons espagnoles. Le comte de Hornes se retirait dans ses terres ; le comte d’Egmont marchait contre les protestans de Valenciennes ; le prince d’Orange laissait massacrer sous les murs d’Anvers, à Austruweel, la petite armée de Jean de Marnix. Bréderode vit que, sans un effort désespéré, tout était perdu. Il se souvint de sa devise, et, résolu d’aller jusqu’aux dernières extrémités du dévouement et de l’audace, il entreprit de tout sauver « par flammes et par fer. »

Jamais chef de parti n’eut plus à faire avec aussi peu de ressources. De Vianen, dont il fait le quartier-général de l’insurrection, il négocie avec toutes les communautés protestantes. Il promet de rétablir la liberté des cultes, à la condition que les églises fourniront des subsides pour solder ses troupes. Il envoie des hommes sûrs à Anvers, à Bois-le-Duc, à Utrecht, dans les places maritimes de la Zélande. Lui-même s’introduit à Amsterdam avec un certain nombre de confédérés travestis, en marchands et en matelots. Il se fait donner le commandement des gens de guerre levés pour la défense de la ville, et déjà les calvinistes le proclament tout haut comte de Hollande. La prise de Valenciennes, la soumission d’Anvers, de Maëstricht et de Bois-le-Duc, le départ du prince d’Orange, n’abattent point son courage, qui grandit avec le péril ; mais le vide se fait autour de lui. Les riches s’éloignent du gueux qui mendié pour payer les frais de la résistance. Les sages, les politiques, condamnent ses folles témérités. Seuls, les pauvres lui restent fidèles, et, dans les jardins où il vient avec eux tirer à l’arc ou à l’arquebuse,