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par des hommes de bien, qui, pour revendiquer les libertés de leur pays, s’appuyèrent sur la tradition et la loi. La révolution n’a point ici pour promoteurs des théoriciens aventureux, elle n’attaque pas l’ordre anciennement établi, les institutions nationales, les pouvoirs régulièrement organisés ; c’est au contraire au nom des antiques privilèges consacrés par les sermens de Philippe II que les confédérés combattent les nouveautés odieuses de l’inquisition et de la monarchie absolue. Pro lege ! telle est la devise des gueux.

Philippe II a cependant trouvé de nos jours des apologistes qui ne sont, à vrai dire, ni des scélérats, ni des fous. Nous ne contestons pas leur sincérité ; mais si peu qu’ils fassent usage de leur raison, oseront-ils ratifier par une sentence réfléchie la condamnation du comte d’Egmont et du comte de Homes, justifier la justice du roi, — en d’autres termes, croire et soutenir que les meilleurs moyens de gouvernement sont le parjure, la trahison et la cruauté ? Il est fâcheux pour le parti ultra-catholique que les archives de Simancas aient révélé les secrets de Philippe II ; cœlo oslenduntur. Schiller, dans son ouvrage sur l’insurrection des Pays-Bas, regrettait de n’avoir pu consulter la correspondance du cardinal de Granvelle. Un tel regret aujourd’hui accuserait une négligence volontaire. On n’a plus le droit de s’en tenir aux témoignages de Strada, de Grotius, de Bentivoglio, de Hooft, de Meteren et de P. Bor. Grâce au concours éclairé de divers gouvernemens, des investigateurs habiles ont découvert et mis aux mains du public non-seulement la correspondance de Granvelle, mais encore celle du roi et de ses ministres, celle de la duchesse de Parme et de son fils Alexandre Farnèse, celle du duc d’Albe et de ses successeurs dans les Pays-Bas, ainsi que les innombrables documens émanés du prince d’Orange et de ses principaux lieutenans. Désormais l’ignorance en cette question n’est plus permise, l’erreur n’a point d’excuse, et le doute même est suspect de mauvaise foi. Le procès est instruit, la lumière est faite, le jugement doit être unanime.

Le livre de M. Théodore Juste, par son caractère de calme impartialité, fixera l’opinion sur les événemens dont il retrace le tableau. Ce n’est point une œuvre brillante et originale, aux tons chauds, aux vives couleurs, ce n’est pas même, à parler franc, une œuvre d’art ; mais c’est un relevé complet, exact, minutieux, de toutes les indiscrétions, de toutes les confidences que la curiosité la plus patiente peut recueillir aux sources les plus abondantes et les plus variées. M. Juste a mis particulièrement à profit les travaux de M. Gachard et de M. Groen van Prinsterer. Les notes dont il a surchargé les pages de ses deux volumes attestent d’ailleurs une connaissance approfondie de tous les documens relatifs à l’époque des troubles ; elles permettent de contrôler, presque phrase par phrase, les moindres détails de son récit, et donnent de l’autorité à ses assertions.

Ce qui manque à l’historien belge, c’est le mouvement, la passion, la vie. Il n’a point le secret de ressusciter les morts, et pourtant la vie, dans les tableaux d’histoire, est une partie essentielle de la vérité : point de portrait inanimé qui soit vraiment exact et fidèle. Il ne suffit pas de photographier, il faut peindre. M. Juste, avec ses teintes grises, ses plans confus, son dessin vague et mal assuré, n’a pu reproduire la réalité. L’art, d’accord avec la