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REVUE. — CHRONIQUE.

donc affirmer que Molière n’est pas toujours comparable à lui-même. Sans doute bien des choses qui blessaient le goût de La Bruyère ne sont pas aperçues par nos yeux. À certains égards, ce que les contemporains appelaient le jargon de Molière n’offre guère un sens plus clair que la patavinité de Tite-Live. Toutefois, même aujourd’hui, il n’est pas impossible de découvrir quelques-unes des taches qui déparent Amphitryon. Quand il écrivait cette comédie, Molière avait quarante-six ans et venait d’achever le Tartufe. On est donc forcé de mettre les expressions parasites sur le compte de la nécessité. Sans doute le temps lui a manqué pour son œuvre comme il l’eût souhaité. Si Alcmène parle une langue moins pure qu’Elmire, si Cléanthis ne rend pas sa pensée avec la même franchise, la même simplicité que Dorine, il faut nous en prendre à la double profession de l’auteur. N’oublions pas que dans l’espace de vingt ans il a écrit trente ouvrages, et qu’il jouait un rôle important dans presque toutes ses comédies.

Le succès d’Amphitryon doit encourager le directeur du Théâtre-Français à tenter de nouvelles reprises. On parle du Philosophe marié, de Turcaret. On ne peut qu’approuver de tels choix. Toutefois nous souhaitons que le tour de Rotrou vienne bientôt. Venceslas et Saint Genest offriraient d’utiles enseignemens à la jeunesse lettrée. Il n’est pas donné à l’administration de créer un répertoire nouveau. En attendant qu’il se présente des comédies originales, des drames remplis d’une passion sincère, elle doit s’appliquer à élever le niveau du goût public, et, pour atteindre ce but, le chemin le plus court est de chercher dans l’ancien répertoire les modèles les plus purs. Quoi que Destouches m’inspire une médiocre sympathie, la reprise du Philosophe marié ne me semble pas inopportune, car c’est un ouvrage composé avec soin, et qui peut servir à développer le talent des comédiens. Turcaret n’a pas besoin d’être loué. S’il ne vaut pas les meilleurs chapitres de Gil Blas, il se recommande pourtant par une grande finesse d’observation. Quant à Rotrou, chacun sait qu’il a plus d’une fois parlé une langue aussi belle, aussi précise que celle de Corneille, et ce mérite reconnu de tous, lui assigne un rang considérable dans notre littérature dramatique. Venceslas et Saint Genest, sans offrir au point de vue poétique le même intérêt qu’Horace et Cinna, ne sont pas moins dignes d’attention pour ceux qui aiment à suivre les transformations de notre langue. Le style de Rotrou est de la bonne époque, et, malgré quelques images dont le choix n’est pas toujours réglé par un goût sévère, il y a profit à l’étudier. Venceslas et Turcaret peuvent servir à l’éducation du public. Les vers bien faits, la prose bien faite, ne sont pas un divertissement stérile, lors même que la pensée n’est pas à la hauteur du style.

GUSTAVE PLANCHE.


HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DES PAYS-BAS SOUS PHILIPPE II, par M. Théodore Juste[1]. — Il n’y a pas, dans la vie des peuples modernes, de temps plus tragiques que le XVIe siècle, et, dans ce siècle même, d’épisode plus émouvant que la révolution des Pays-Bas. On ne peut rester froid au spectacle de cette lutte inégale engagée contre le despotisme politique et religieux

  1. Bruxelles, 2 vol. in-8o.