Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Manche, des mouvemens ont éclaté contre l’impôt prétendu national que les cortès ont créé, il y a quelque temps, pour n’avoir pas à rétablir la taxe de consommation. En Catalogne, l’agitation a un caractère particulier et se manifeste de nouveau. La lutte entre les ouvriers et les fabricans vient de se réveiller. Les propriétaires de filatures ont décidé que les ouvriers devraient travailler une demi-heure de plus le samedi dans les semaines où il y a quelque fête particulière outre le dimanche. Les ouvriers ont protesté contre ce qu’ils appellent une injustice oppressive et une atteinte portée à toutes les conditions du travail. Ils se sont adressés au gouverneur civil, qui a refusé d’intervenir, en objectant que patrons et ouvriers devaient rester libres de fixer et d’admettre respectivement les conditions du travail. Cette réponse a beaucoup étonné les ouvriers, qui ont publié alors une sorte de manifeste plein de haine et de menaces contre le maître, contre le capitaliste qui élève des fortunes colossales aux dépens du prolétaire, avec la sueur du peuple. Les ouvriers ne laissent point ignorer d’ailleurs qu’ils attribuent leur malaise à la politique actuelle, et qu’ils regrettent de n’avoir pas saisi les occasions de conquérir leurs droits, de devenir à leur tour oppresseurs, comme ils le disent naïvement. Il ne serait point impossible que les scènes sanglantes de l’an dernier n’éclatassent de nouveau, si la Catalogne n’était tenue en respect par une autorité militaire énergique disposant de forces considérables.

Quelles sont les causes générales de ces désordres permanens qui troublent l’Espagne ? Le général O’Donnell n’a point hésité à y voir l’influence du socialisme pénétrant au-delà des Pyrénées. Il peut en être ainsi dans une certaine mesure à Barcelone, où les questions d’industrie et de salaire existent depuis longtemps, et où les idées démagogiques se sont plus infiltrées. Dans la Castille, la population est particulièrement agricole ; elle vit à l’écart de tout, elle est plutôt réputée pour sa gravité et son calme que pour sa turbulence. Les événemens de Valladolid semblent avoir eu un caractère assez compliqué. La disette n’a été évidemment qu’un prétexte, les grains ne manquent pas en Espagne. La municipalité qui existait au moment de ces scènes, et qui a été dissoute, a publié aussi son manifeste, dans lequel elle attribue les événemens à la misère, à l’irritation produite par l’impôt de la derrama nacional, à l’immoralité et au relâchement propagés par la fréquence des élections populaires, par l’impunité de la plupart des insurrections politiques, à l’agglomération d’ouvriers venus de toutes les parties de la Péninsule. Tout cela est possible ; on a voulu voir, même dans les mouvemens de la Castille, l’œuvre de divers partis entre les mains desquels les masses n’ont été qu’un instrument aveugle. Quand on regarde de pies ces événemens, ils n’ont à vrai dire qu’une cause essentielle, profonde : c’est l’anarchie politique et morale qui règne depuis deux ans en Espagne. Comment les masses ne se soulèveraient-elles pas lorsque le congrès lui-même a fait de l’insurrection un droit à des récompenses, et a voté des pensions et des monumens à tous ceux qui ont trempé dans quelque révolte ? Comment les habitudes de régularité et d’ordre reprendraient-elles leur empire lorsque l’Espagne est encore sans un régime fixe et déterminé ? Les cortès ont voté une constitution, et cette constitution n’est point même promulguée ; les